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Citations sur Le faste des morts (16)

Lorsque, au quartier général de l'Action Impériale, j'eus prêté serment pour l'adhésion, Kunihiko Sakakibara me dit que je serais ainsi le membre le plus jeune. En effet, à l'époque où je commençais à fréquenter le quartier général, il m'a semblé que j'étais le seul mineur. Plus tard, j'ai fini par en repérer trois de dix-neuf ans, mais ils étaient à mille lieues de l'image que je me formais d'un jeune militant. Ces adolescent de "droite" ne se départaient jamais d'une expression hautaine, compassée et pesante. Si jamais je leur parlais de cinéma, de jazz ou de musique pop, ça les mettait en fureur comme si je les avais méprisés, et commençaient à m'insulter en me traitant de «déliquescent». Chaque fois qu'ils se plaisent à employer ce type d'expressions, j'avais l'impression d'engranger ma déception à l'égard de la "droite", telle une fourmi faisant rouler sa boule de boue jusqu'à la fourmilière. Car ces jeunes militants ressemblaient comme deux gouttes d'eau à la caricature de bande-dessinée que je m'étais figurée avec amusement avant d'adhérer au parti.
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Je me suis dit avec une passion ardente : c'est ça, dans la loyauté, il ne peut pas y avoir d'esprit individuel ! Si je tremblais d'angoisse, craignais la mort et était saisi d'inertie sans pouvoir appréhender ce monde réel, c'était parce que j'étais captif de mon esprit individuel. Tant que j'avais un esprit individuel, je me trouvais bizarre, plein de contradiction, anarchique, alambiqué, confus et décalé, ce qui redoublait mon angoisse. Chaque fois que j'entreprenais une action, je me demandais si je n'avais pas fait le mauvais choix, et cela aggravait encore mon inquiétude. Or, dans la loyauté, il ne peut y avoir d'esprit individuel. C'est cela, il faut, en abandonnant tout esprit individuel, se dévouer corps et âme, à Sa Majesté Impériale. Abandonner mon esprit individuel et abandonner tout ce qui m'appartient ! J'ai senti que ce brouillard, infesté de contradictions qui m'avaient jusqu'alors torturé, s'était dissipé. Ce brouillard, qui m'avait fait perdre toute confiance en moi, s'en est allé, sans avoir trouvé de solution. Le brouillard a été balayé d'un seul coup. C'est Sa Majesté Impériale qui m'avait ordonné : «Abandonne le brouillard de ton esprit individuel !» et j'ai obéi. Je suis mort, comme individu, ainsi que mon esprit individuel.
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Mais dès lors que nous avons été isolé du changement des saisons, par un mur épais de béton, nous qui nous trouvions dans l'enceinte de ce mur, nous avions été aussi coupés de notre croissance. Dévié de la trajectoire de la croissance, isolés du reste des enfants qui eux grandissaient à l'extérieur, dépossédés de toute volonté de grandir, nous ne vivions plus que du respect des règles. Notre vie n'était déjà, tout comme celle des vieillards, rien de plus qu'une répétition qui ne bougeait ni ne se développait ; de plus nous avions déjà un statut social inébranlable. Nous étions de jeunes vieillards qui n'avaient besoin d'aucun projet, qui ne souhaitaient devenir personne. Et nous étions plongés jusqu'au cou dans ce liquide de l'«abandon» qui envahit les vieux à l'approche de la mort : nous vivions lentement le même quotidien où une semaine valait un mois, un mois un an, ce quotidien où d'innombrables crépuscules n'étaient des reflets chaotiques d'un seul crépuscule.
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Un grand miroir était fixé au mur du vestiaire attenant. Je découvrais mon reflet : seul, debout, plongé dans une lumière jaune, déprimé. C'était bien un "seventeen" déprimé : sur son bas-ventre à peine poilu, son sexe pendait flapi, avec son prépuce tout ridé, bleu-noir, fripé comme une chrysalide, toute moite, imbibé d'eau et de sperme, tandis que seules les couilles, ramollies par l'eau chaude, semblaient assez longues pour toucher aux genoux. Voilà qui manquait de charme. Dans le miroir, mon corps éclairé par derrière n'avait rien de musculeux, il n'avait que la peau sur les os. Dans la salle de bain, l'éclairage était flatteur. Maintenant, je déchantais. Mortifié, j'ai enfilé mon tricot de peau. J'observais mon propre visage qui se détachait du col de mon maillot. Je me suis rapproché du miroir pour mieux scruter mes traits. C'était un visage rebutant ; il n'était ni mal fait ni terreux, mais vraiment rebutant. Pour commencer, la peau est trop lourde : on dirait une tête de cochon à l'épiderme blanc et épais. J'aime les visages dont la peau fine et hâlée est impeccablement tendue sur une ossature ferme, bref, les visages d’athlètes, mais sous la mienne, ce n'est que chair et graisse. On dirait que seul le visage est gras. Et mon front étroit est encore plus réduit par des cheveux drus et denses. Mes joues sont bouffies. Seules mes lèvres sont petites et rouges comme celles d'une femme. Mes sourcils sont épais et courts, clairsemés et informes. Et mes yeux sont sournois, minces et légèrement révulsés. Quant à mes oreilles, elles sont charnues et écartées, avec des lobes pendants. Chaque fois que je le vois en photo avec cette mollesse féminine et cette expression geignarde et timorée, je suis terrassé. En particulier quand on en fait pour la classe, ça donne des photos déprimantes à en mourir. Pire encore, le photographe retouche toujours mes traits, pour en faire un bellâtre au visage fade. En retenant un gémissement, je fixai mon visage dans le miroir. Il avait pris une teinte bleu-noir : c'est le teint d'un onaniste invétéré.
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Je m'immobilisai, laissant avancer l'infirmière et son malade dans cet air limpide et lumineux. J'étais ébahi. Une lassitude languide engourdit soudain mes membres. C'était un homme vivant. Un homme vivant, un homme habité de conscience, au corps enveloppé d'une immense pellicule visqueuse, avait la faculté de me refuser. J'avais pénétré le monde des morts. Puis quand j'étais retourné chez les vivants, tout était devenu compliqué : c'était le premier achoppement. Je me demandais, avec une funeste inquiétude, si je ne m'étais pas trop investi dans cette tâche et si je n'aurais pas du mal à en sortir.

[in "Le faste des morts", p. 31]
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Pendant la guerre, tu étais encore un enfant, non ?
Je grandissais, me dis-je, pendant cette guerre interminable. Je grandissais au moment où le dénouement de la guerre était l’unique espoir de notre quotidien si malheureux. Et dans l’inflation de symptômes de cet espoir, j’étouffais et j’étais à deux doigts de mourir. Quand la guerre se termina, les adultes se mirent à digérer sa dépouille, dans leur cœur semblable à l’estomac, les corps solides et indigestes et le mucus furent excrétés, mais je ne participai pas à cette opération. Pour nous, l’espoir alla à vau-l’eau.
(Le Faste des morts)
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Je n’ai pas besoin d’espoir. Je tâche de mener une vie régulière et d’étudier comme il faut. Mes journées sont bien remplies. Je ne suis pas paresseux ; à force d’étudier correctement pour la fac, je n’ai plus de temps à tuer. Tous les jours, je manque de sommeil et je reste vaseux, mais j’étudie comme il faut. Voilà, ma vie n’a pas besoin d’espérance. À part mon enfance, je n’ai jamais vécu avec l’espérance et je n’en ai jamais eu besoin.
(Le Faste des morts)
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La compagnie d'un ami pour lequel on n'a que du mépris et plus rassurante que la solitude, dans la mesure où l'orgueil n'est pas blessé. c'est comme s'enivrer d'un mauvais alcool pour fuir l'angoisse.
(p147, seventeen)
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L’uniforme de l’Action Impériale imitait celui des S.S. Lorsque je marchais dans les rues ainsi vêtu, j’éprouvais là aussi une vive sensation de bonheur. Hermétiquement enclos dans cette armure, comme un scarabée, j’avais la certitude que les autres ne voyaient plus ce qu’il y avait en moi de mou, de faible, de vulnérable et de disgracieux et je me sentais au paradis. Auparavant, le regard d’autrui me terrorisait, me faisait rougir et me précipitait dans un dégoût de moi aussi timoré que pitoyable : je me trouvais complètement ligoté. Mais désormais, au lieu de me regarder intérieurement, les autres regardaient l’uniforme de droite, non sans quelque frayeur. J’avais dissimulé à jamais une âme vulnérable d’adolescent derrière l’écran de l’uniforme de droite. Je n’avais plus honte, je ne me laissais plus atteindre douloureusement par les regards extérieurs.
(p. 183-184, Chapitre 4, “Seventeen”).
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L'uniforme de l'Action Impériale imitait celui des S.S. Lorsque je marchais dans la rue ainsi vêtu, j'éprouvais là aussi une vive sensation de bonheur. Hermétiquement enclos dans cette armure comme un scarabée, j'avais la certitude que les autres ne voyaient plus ce qu'il y avait en moi de mou, de faible, de vulnérable et de disgracieux et je me sentais au paradis.
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