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Citations sur Rosa Candida (370)

« Elle a exactement les mêmes oreilles que toi », dit la
future généticienne en me suivant du regard.
Elle a raison, les oreilles ont la même forme, comme
sorties du même moule, avec le même ourlet, le même type
de lobe. Je compare furtivement l’enfant à sa mère aux
yeux d’aigue-marine, sans voir de ressemblance frappante,
hormis le dessin de la bouche qui est identique : deux
exemplaires de bouche en cerise. En dehors des oreilles et
de la bouche en cerise, notre fille ne ressemble qu’à elle-
même, comme si elle venait d’ailleurs. Je trouve pourtant,
de manière confuse, qu’elle a quelque chose de maman,
sans pouvoir identifier quoi, si ce n’est les fossettes peut-
être, mais je n’irais pas jusqu’à faire plaisir à papa en
mentionnant la chose. Et puis il y avait toujours du soleil là
où était maman, quel que fût le temps au-dehors. Elle était,
pour ainsi dire, radieuse. Sur les photos, c’est comme si un
projecteur l’éclairé ; là où plusieurs personnes sont sur le
cliché, elle est la seule dont la joue resplendit, sinon on
pourrait croire que la photo est surexposée. Il y avait de la
lumière dans les cheveux de maman, comme dans ceux de
l’enfant, comme si on les avait saupoudrés de paillettes
scintillantes, et il y avait de la lumière dans son sourire –
j’avoue de bonne grâce ma sentimentalité à l’égard de
maman, je l’éprouvais de son vivant et je l’éprouve
toujours. Et puis je suis né, tout pâle avec un toupet de
cheveux roux et mon frère jumeau avec des cheveux noirs,
la peau brune et les yeux marron.
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« C’est un logement incroyable, dit-elle, comme sorti
d’un vieux conte. » Elle entre dans la chambre et caresse le
papier peint aux amaryllis rouges. « Et puis tout est plein
de fleurs », dit-elle en voyant la cuisine tandis que je lui
ouvre la porte du petit balcon. Il me semble, à sa voix,
qu’elle pourrait bien être émue. Dès l’instant où mère et
fille ont mis le pied dans mon logis – ma première ébauche
de foyer –, c’est comme si tout devenait plus clair, comme si
l’appartement se remplissait de lumière.
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Elle tient ma fille sur le bras en descendant du train. Il
n’y a pas grand monde sur le quai de la gare, mais elles
tranchent nettement sur les autres voyageurs et attirent
l’attention. Flóra Sól porte une robe à fleurs roses, un
collant, des chaussures roses et un gilet tricoté ; elle a
grandi, elle n’est plus un petit bébé. Elle a sur la tête,
attaché sous le menton, un bonnet jaune d’où s’échappent
deux boucles blondes. Je fixe l’enfant, fruit d’un instant de
jouissance charnelle, que je n’ai pas vu depuis deux mois et
elle me regarde en retour de ses grands yeux d’eau bleue,
avec une curiosité nuancée d’hésitation. Anna porte une
veste bleue. Elle a les cheveux liés en queue de cheval. Elle
est visiblement fatiguée par le voyage ; il me semble aussi
qu’elle a l’air d’avoir froid, bien qu’il fasse chaud et que je
sois moi-même en bras de chemise. La première chose qui
me vient à l’idée en la voyant descendre du train est que ça
aurait valu la peine d’essayer de mieux la connaître. Il y a
trois ans, je n’aurais pas remarqué une fille comme ça dans
la rue ; aujourd’hui il en irait autrement, car je ne suis plus
le même homme. Mère et fille me considèrent gravement.
Je porte une chemise fraîchement repassée et viens de me
faire couper les cheveux – peux pas faire mieux. Je salue
Anna d’un baiser sur la joue et souris à ma fille. Elle me
rend un sourire mouillé, avec ses joues roses à fossettes
dans un pâle visage de porcelaine. Il émane de cette enfant
de la clarté. Elle tend les bras vers moi. Sa mère la regarde
avec étonnement puis pose les yeux sur moi, comme si la
petite l’avait trahie en quelque sorte, en se tournant tout de
suite vers un papa inconnu. Elle me tend néanmoins ma
fille. Celle-ci est légère comme tout, du poids approximatif
d’un gros chiot, et toute molle. Elle fait des bonds sur mon
bras. Je lui caresse la joue.
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Je jette un coup d’œil au miroir à côté de moi et me
trouve face à un homme soucieux, aux cheveux roux
fraîchement coupés. C’est peut-être une excellente parade
à la solitude, mais ça fait un peu drôle de se voir reflété à
tout bout de champ, d’être constamment conscient de soi-
même.
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Maintenant que nous avons été ensemble témoins d’un
accident mortel, on peut dire que nous avons derrière nous
une expérience commune de la vie. J’ai partagé en outre
avec elle mon expérience de la naissance d’un enfant. Au
total, notre vécu au cours des six dernières heures, côte à
côte dans la voiture, couvre les deux événements les plus
importants de la trajectoire de l’homme : la naissance et la
mort, le début et la fin.
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« C’était comment, de recevoir un enfant ? demande ma
voisine dans la voiture.
— Surprenant.
— Qu’est-ce qui t’a surpris ?
— On pense à la mort. Quand on a eu un enfant, on sait
qu’on mourra un jour.
— Drôle de gars », dit-elle.
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Dès que je cesse de me concentrer sur
la grammaire, je recommence à penser aux corps. Mes
difficultés linguistiques pourraient bien amener notre
relation à un autre niveau, celui des échanges sans paroles
que peuvent avoir deux corps.
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« L’angélique, dis-je. Elle peut atteindre la hauteur d’un
homme.
— Ah bon ? dit-elle.
— L’herbe.
— L’herbe ?
— Oui, l’herbe est verte tout l’été, d’un vert vibrant,
incroyablement vert », dis-je, arpentant la lande par la
pensée et foulant l’herbe touffue jusqu’à ce que je le trouve
enfin, le tapis d’alchémille. Je regarde l’heure et vois que
cela m’a pris un quart d’heure à peine pour faire un état
des lieux de la végétation. Mes explications ne tardent pas
à me mener dans une impasse imaginative autant que
grammaticale. Je termine le catalogue par l’épilobe
arctique.
« Il y a des épilobes roses qui poussent, par-ci par-là, sur
la grève de sable noir. » Je trouve qu’il est important
qu’une personne élevée au milieu de la forêt comprenne
précisément cela, qu’une fleur puisse pousser çà et là,
toute seule sur une dune de sable noir et parfois dans le
canyon d’une rivière, toute seule là aussi. Dès que je
nomme l’épilobe, je deviens un peu sentimental.
« Est-ce qu’on les cueille, ces fleurs-là ?
— Non, elles ont tant de peine à pousser, comme ça,
toutes seules ; une ou deux fleurs peut-être, sur toute une
dune. » Je m’exerce à parler la langue, accouplant noms et
verbes, ciselant ensuite des prépositions autour des plantes
pour que ma compagne de route puisse les percevoir dans
leur environnement naturel. Des canyons de rivières, je
descends vers le rivage et amplifie la grève sableuse. Je
trouve qu’il est aussi important que cette jeune fille
étrangère – je dis jeune fille comme mon vieux père – se
représente une plage de sable vaste et déserte, sans
aucune trace de pas, et puis rien d’autre que la mer sans
fin avec, peut-être, la crête des vagues qui écume au loin et
puis le ciel infini par-dessus. Je dis infini deux fois de suite
parce que j’ai envie de lui faire comprendre ce que c’est
que de poser le pied dans aucune trace, d’aucun homme
sur le sable noir de la grève. J’escamote les cris de l’oiseau
de mer, il dérangerait l’image silencieuse. Comment dit-on
infini ? Si je pouvais dire infini, je pourrais mener la
conversation vers des domaines abstraits. La comédienne
me tend la perche. « Intemporel ?
— Non, pas tout à fait.
— Immortel ?
— Oui, je crois, dis-je, immortel.
— Cool », dit-elle.
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Puis elle fait une pause avant de reprendre la
description de son paradis aux couleurs d’automne. Le
soleil dont elle parlait est totalement occulté pour moi. Il
pleuvait sur tout le pays ce jour-là et, selon le rapport de
police, c’est justement la pluie sur la route qui a causé
l’accident. Tout était trempé, l’asphalte était trempé, les
prés étaient trempés, le champ de lave était trempé et elle
décrivait les nuances extraordinaires de la terre, le
scintillement de la mousse que le soleil dorait au milieu de
la lave noire, elle parlait de cette belle clarté, elle parlait de
la lumière, oui de la lumière.
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Ce qui me surprend le plus est de voir mon amie pour la
première fois sans ses lunettes de myope, de voir les yeux
qui étaient derrière les verres épais. C’est comme s’ils
n’avaient jamais été à ciel ouvert, comme si c’était pour eux
une première. Elle ne pourrait pas être plus nue que sans
ses lunettes.
« Ce sont des verres pour myopie ? » dis-je et en
transférant tout le poids de l’instant sur la force et
l’épaisseur des lunettes, j’essaie de détourner l’esprit du
fait que je suis en petite tenue au lit avec une ancienne
camarade de classe. Il me semble encore possible que les
lunettes me sauvent la mise et nous conduisent à la
prochaine étape d’une conversation normale.
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