Citations sur Delirium, Tome 2 : Pandemonium (93)
Je ne tourne jamais la tête, bien sûr. Mais un jour je le ferai. Un jour, je le ferai, et il sera là, et tout ira bien.
En attendant, je cours.
"Une fois qu'on permet à l'amour de pénétrer dans son cœur, de s'enraciner, il s'étend, comme une moisissure, et gagne le moindre recoin sombre. Avec lui viennent les questions, les frissons, les peurs qui terrassent. De quoi ne plus jamais trouver le sommeil."
Le chagrin est une noyade, un ensevelissement. Je m'enfonce dans une eau couleur de terre retournée. Chaque respiration m'étouffe. Il n'y a ni rebord ni paroi où planter les ongles. Rien d'autre à faire que lâcher prise.
Lâcher prise. S'abandonner au poids qui pèse sur tout mon corps et me comprime les poumons. Se laisser aller vers le fond. Il n'y a pas d'autre destination. Il y a que le goût du métal, l'écho du passé et des jours qui ressemblent aux ténèbres.
Nous nous embrassons lentement, tendrement, parce que nous avons l'éternité; nous n'avons rien d'autre à faire qu'apprendre à nous connaître librement et échanger autant de baisers que nous le désirons. Ma vie recommence.
A travers la porte entrouverte de sa penderie, j'aperçois des étagères chargées de jeans dalévs et des chemises sur leurs cintres. La banalité de ce spectacle manque de me tuer. Même dans un monde sens dessus dessous, un monde de guerre et de folie, les gens prennent la peine de pendre de leurs affaires. De plier leurs pantalons. De faire leur lit. Il n'y a pas d'autres solutions.
Un jour, la Nature sera entièrement rasée, il ne restera plus qu'un paysage de béton, une terre de jolies maisons, de pelouses bien entretenues, de parcs et de forêts domestiquées.
Le monde tournera alors avec la régularité d'une horloge parfaitement remontée : un monde de rouages métalliques, d'aiguilles humaines tictaquant jusqu'à leur mort.
Dans un monde sans amour, voilà ce que représentent les gens : une valeur, positive ou négatives, des chiffres, des données. Nous pesons, nous quantifions, nous mesurons, et l'âme est réduite à néant.
Mes forces croissent. Je suis une pierre érodée par l'eau, je suis une branche noircie par le feu. J'ai des lianes en guise de muscles, du bois en guise de jambe.
''Vivre libre ou mourir''
Quatre mots. Dix-huit lettres. Autant de pics, de bosses et de courbes sous mes doigts.
Une autre histoire. Nous nous y raccrochons de toutes nos forces; et notre foi finit par la changer en vérité.
J'enfonce à nouveau la tête dans l'eau et me laisse porter par le courant, dont je comprends les accents, les balbutiements et les gazouillements. Je l'entends prononcer le nom auquel j'évite de penser si fort - Alex, Alex, Alex - puis l'emporter.