Citations sur Décadence (46)
La révolution bolchevique qui devait apporter la liberté, la fin de l'esclavage et de la servitude, la prospérité, le bonheur de l'humanité, le règne de la justice, l'homme nouveau, une société débarrassée de ses contradictions, la fraternité universelle, a apporté exactement le contraire : la tyrannie, la servitude généralisée, la famine, la guerre civile, les camps de concentration, le Goulag, la déportation, les pleins pouvoirs du caprice et de l'arbitraire révolutionnaire, le triomphe de ce qu'il y a de plus primitif en l'homme, une société policière, la haine généralisée.
Cette religion virile, guerrière, conquérante, puissante, forte de ses soldats prêts à mourir pour elle, entre dans le concert des civilisations qui se proposent de régner de manière impériale, universelle, planétaire. Ni le bouddhisme, ni l’hindouisme, ni le confucianisme, ni le judaïsme, au contraire du christianisme et de l’islam, ne proposent de convertir la totalité de l’humanité. Ces deux forces, qui sont deux spiritualités, deux civilisations, deux cultures, existent en s’opposant. L’Empire chrétien s’était étendu rapidement à partir de la conversion de Constantin. Il va devoir désormais compter avec ce frère ennemi pour plus de mille ans. Le Christ et Mahomet, le Christ ou Mahomet, Mahomet ou le Christ ? L’Occident prend forme avec cette nouvelle donne. L’étoile de David, la croix du Christ, le croissant de l’islam figurent des forces en quête de formes, chaque forme supposant qu’une force en finisse avec une autre. À cette époque, le christianisme et l’islam veulent les mêmes terres, puisqu’ils aspirent tous les deux au même empire universel : sous la bannière de saint Paul, les partisans de la Croix veulent christianiser la planète, au détriment de l’islam ; sous l’étendard de Mahomet, les fidèles du Croissant aspirent à islamiser la terre entière, au préjudice de la chrétienté. Choc des civilisations assuré…
La philosophie comme mode d’existence meurt dans les salles de ces universités médiévales où l’on parle, où l’on discute, où l’on confère, où l’on débat, où l’on dispute, où l’on expose, où l’on devise, où l’on cause, où l’on disserte, où l’on discourt, le tout dans un maelström de mots réservés à des spécialistes qui constituent un langage à part que ne peuvent pratiquer que les gens du sérail. Il est aboli, le temps où Socrate parlait sur l’agora à des tisserands, des foulons, des potiers, des charpentiers, des marchands de poisson ; les philosophes du Moyen Âge parlent de manière incestueuse à leurs semblables : des bacheliers, des enseignants, des professeurs, des étudiants. La philosophie existentielle était ouverte sur les autres et sur le monde ; la pensée scolastique est fermée sur autrui, concentrée sur le même, et aveugle au monde, tout à son petit monde de fictions conceptuelles qu’elle estime plus vrai que le monde réel.
Ce qui advient quand s'effondre l'étoile dont tout n'est que poussière d'icelle est puissance. Je nomme puissance cette force aveugle qui n'obéit qu'à ce plan ignoré et qui n'est pas divin mais cosmique, qui nous conduit de l'être au non-être. Car ce qui est vivant meurt : une étoile et une galaxie, un univers et une espèce. Tout obéit aveuglément et inéluctablement à ce schéma : naître, être, croître, culminer, décroître, disparaître. Les civilisations sont elles-mêmes soumises à ce processus qui affecte tout ce qui est vivant et se trouve dans un temps et dans un espace. Je nomme décadence ce qui advient après la pleine puissance et qui conduit vers la fin de cette même puissance.
Le rameau d'une civilisation est toujours une spiritualité. Il n'est pas d'exemple dans l'histoire d'une civilisation dont le noyau dur n'ait pas été à l'origine une croyance qui, devenue officielle et collective, se transforme en religion. On le sait, une religion, c'est une secte qui a réussi. Et comment une secte peut-elle réussir ? Quand elle s'impose par la force et la violence et rien d'autre. La puissance n'est l'alliée que de la puissance.
Très en avance sur leur temps, le trio Jésus, Marie, Joseph procède de ce que la modernité chérit : une procréation dissociée du sexe, un père qui n'est pas père, une mère qui est vierge et dont l'accouchement préserve l'hymen, un géniteur sans sperme, un spermatozoïde sans géniteur, un enfant conçu sans liqueur séminale, des frères issus d'une mère qui n'en reste pas moins vierge, une famille dans laquelle le père n'a pas de sexualité, la mère non plus, ni même le fils qui meurt vierge à 33 ans.
Il en va de même avec les civilisations; toutes obéissent au schéma du vivant: naître, être, grandir, croître, se développer, rayonner, se fatiguer, s'épuiser, vieillir, souffrir, mourir, disparaître.
L'optimiste veut améliorer le présent avec le futur; le pessimiste veut la même chose, mais avec le passé. L'un promet le paradis avec le progrès; l'autre avec le regrès. Le premier attend le salut de l'avenir parce qu'il croit que tout s'arrange avec ses recettes progressistes; le second estime que, puisque c'était mieux avant, il faut revenir aux fondamentaux anciens. Or, le présent ne se fait ni avec le futur de l'optimiste ni avec le passé du pessimiste, mais avec l'instant tragique.
La somme de ce qui ralentit finit un jour par immobiliser.
Le réel n'est jamais que le dépliage d'une fatalité, le pur effet du déterminisme. Les hommes s'illusionnent quand ils pensent vouloir ce qui les veut.