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Citations sur Les années volées (13)

Ainsi, j’ai eu la chance de connaître Văcărești, prison pour les détenus de droit commun, utilisée parfois aussi pour les politiques. L’hôpital central des prisons, où étaient regroupés les détenus malades venus de partout, se trouvait entre ses murs. Je dis « chance », car Văcărești était un ancien monastère, monument historique, qui fut classé plus tard, puis rasé par Ceaușescu.
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Sous Ceaușescu, nous avons été incapables de savoir s’il y avait, oui ou non, des détenus politiques. Et, dans l’affirmative, combien. De plus, ils étaient « maquillés » en détenus de droit commun.
Du temps de Gheorghiu-Dej (1945-1965, prédécesseur de Ceaușescu), les arrestations n’étaient pas nécessairement le résultat d’une action subversive. Tout pouvait devenir chef d’accusation et, donc, motif d’arrestation. Dire à voix haute dans la rue : « J’en ai marre », ou écouter les émissions des postes tels qu’Europe libre ou La Voix de l’Amérique, constituait un délit passible de deux à quatre années de prison. L’atmosphère de terreur n’épargnait pas les enfants que nous étions. En l’absence d’une vision politique de la situation, nous avions conscience qu’il se passait des choses terribles. Nous savions. Nous savions qu’il y avait des résistants dans les montagnes. D’ailleurs, les radios occidentales en parlaient.
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La même confusion régnait dans le choix de nos lectures et dans nos vies. Nos parents avaient du mal à se ressaisir. Courageux, pour la plupart ils ne réalisaient pas vraiment l’ampleur de la catastrophe, surtout au début. Ils ont cru que ce n’était qu’un dur moment à passer. Avant de voir les Russes partout dans le pays, ils n’imaginaient pas que cela fût possible. Ensuite, ils se sont dit : Chez nous, le communisme ne prendra jamais, il est contraire à la nature des Roumains ! Ils s’accrochaient, confiants et déphasés ! Nombreux ont été ceux qui auraient pu fuir et qui ne l’ont pas fait. Ou qui l’ont fait plus tard, dans des conditions précaires, tant ils espéraient l’aide de l’Occident, et surtout des Américains. Il leur a fallu du temps pour comprendre combien le chemin serait long. Beaucoup ont été emprisonnés, certains sont morts. Moralement, ils nous ont laissés nous débrouiller comme nous le pouvions. Il me semble que nous étions un peu seuls, dans la peur et l’attente, mais ce sentiment de solitude est le propre des adolescents, même en temps normal.
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Un vent de folie commençait à souffler sur la chambrée. L’atmosphère était tendue. Nous dormions mal la nuit. Nous nous renfermions encore plus sur nous-mêmes, les liens se défaisaient... La présence de la commission de révision était connue. Germait un infime espoir de retrouver la liberté. Beaucoup s’y accrochaient farouchement, d’autres (j’en faisais partie) le repoussaient comme une faiblesse. Heureusement, je n’y ai pas cru. Une très dure étape de détention s’ouvrait devant moi...
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D’une prison à l’autre, le mitard se présentait différemment. Celui de Ghencea était une simple et redoutable guérite : surchauffée en été, parce que en plein soleil (une fois, ils y ont entassé dix ou douze tsiganes : la guérite a fini par tomber, et les femmes y sont restées ainsi, couchées en sandwich, une journée entière...), elle se transformait, l’hiver, en congélateur. Debout, à trois, nous y étions à l’aise, mais nous ne pouvions nous asseoir que deux par deux. De toute façon, il faisait beaucoup trop froid, nous ne pouvions pas rester sans bouger. Au-dessus de nous, un mirador.
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Des professeurs, des institutrices, des épouses de grands intellectuels considérés comme des ennemis du peuple, des femmes qui avaient aimé des étrangers, ou simplement couché une fois avec, accusées d’espionnage, une ménagère dont le mari avait emprunté des livres à la bibliothèque de l’Institut français, ainsi que d’autres personnes qui l’avaient fréquentée (lire Sartre vous valait deux années d’emprisonnement administratif), bref, beaucoup de femmes qui se retrouvaient en prison par hasard apprenaient sur le tas le métier de détenue politique. Certaines d’entre elles roulaient au bord de la folie.
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Aujourd’hui encore, d’autres survivants ont peur, honte, ou sont toujours conditionnés. J’en ai pourtant rencontré un qui, lui, parle. C’est un vieux monsieur. Il faudrait l’écouter avant qu’il ne soit trop tard. Il ne nous appartient pas de juger ces hommes. Nous étions tous ailleurs. J’entends de petites voix : « Cela s’est passé bien avant notre naissance ! » Oui, nous étions tous ailleurs. Dieu aussi.
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Un jour du mois de juillet 1990, la poétesse et journaliste roumaine Mariana Marin est arrivée dans le village picard où j’habite. Cela se passait quelques semaines après la répression sanglante perpétrée par les mineurs à Bucarest. Elle a branché son petit magnétophone et, comme je me rebiffais, m’a prévenue : « Je resterai le temps qu’il faudra, mais je ne repartirai pas d’ici avec mes cassettes vierges. » Ainsi est né ce livre. Grâce à la patience de Mariana Marin, à son intérêt pour des événements qui se sont déroulés bien avant sa naissance. Et, aussi, à sa conviction farouche que je me devais de l’écrire.
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Oana Orlea est roumaine. Mais là n’est sans doute pas l’essentiel. Il importe assez peu, en effet, que la singulière tragédie qui bouscula sa jeunesse se soit déroulée dans la Roumanie communiste de Gheorghiu-Dej et que les innombrables prisons où s’écorcha peu à peu son adolescence – ces « années volées » – se nomment Văcărești, Jilava, Ghencea, Pipera ou Târgșor. Ailleurs vers l’Est, dans d’autres lieux aux consonances différentes, des millions d’hommes ou de femmes vécurent des expériences qui ne furent sans doute guère dissemblables. Qu’on ne cherche point dans ces pages admirables un « document » historique sur l’ancien pays des Daces littéralement décervelé par le Conducător Ceaușescu.
Oana Orlea témoigne, en vérité, pour un « continent » aux contours bien plus vastes, un « archipel » s’étendant de Budapest ou Prague à Vladivostok et qui engloutit bien d’autres peuples. Avant elle et après elle. Un « archipel » – celui du crétinisme totalitaire et de la violence historique – dont nous imaginions tout connaître mais dont, soudain, l’évocation nous bouleverse à nouveau. Pourquoi ? D’abord parce que, envers et contre tout, l’énigme demeure ! Maintenant que, sauf exceptions (et la Roumanie en fait partie...), les murs sont tombés, le désastre communiste, consommé, les langues de bois, disqualifiées, une immense question demeure posée et nous hante : comment tout cela fut-il possible ? Et si longtemps ? Comment tout cela fut-il effectivement vécu ? Et enduré ? Les centaines de témoignages que nous avons pu lire depuis un demi-siècle, de Kravchenko à Soljenitsyne, de Paul Goma à Leonid Pliouchtch, Evguenia GuGinzbourg, Andrei Amalrik et tant d’autres, nous ont abondamment renseignés sur les circonstances historiques ou policières de cette folie. Mais au centre du drame subsiste une manière de point aveugle, de trou noir qui résiste à l’entendement ordinaire. Nous n’en avons pas fini, il me semble, avec le communisme. Mais nous voilà mieux placés désormais pour comprendre que ce n’est pas dans l’affrontement des dogmes ou le choc grandiloquent des idées que perdure le mystère. C’est bien davantage dans le menu des choses, l’indicible du quotidien et du temps qui passe derrière des portes cadenassées, le « grain » de ces vies blessées. Ou broyées. Une bouleversante « épaisseur des choses » à laquelle nous ramène précisément le talent singulier d’Oana Orlea. A sa manière. Avec sa propre lucidité, plus dévastatrice qu’aucune autre parce que c’est celle d’une enfant. Oana n’a pas dix-sept ans lorsqu’elle est brutalement arrachée aux « jeux » frondeurs d’une jeunesse naturellement indocile et se trouve précipitée dans l’enfer adulte de l’inquisition politique, du soupçon kafkaïen, de la violence obtuse et de l’absurdité carcérale. C’est encore une enfant qui découvre l’horreur et la cruauté flicarde, la vulgarité des hommes ou des femmes devenus geôliers, mais aussi cette trouble solidarité des victimes qui inspire à Oana quelques portraits magnifiques et finalement rédempteurs. Le regard, la souffrance mais aussi l’infatigable ironie d’une enfant ; l’alchimie singulière de la mémoire et la maîtrise d’un écrivain : voilà sans doute pourquoi, dans ces pages, le vrai miracle de l’écriture se produit. Celui d’une vérité subitement démaquillée. Celui d’une voix qui nous parle.

Jean-Claude Guillebaud
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Du point de vue de la répression, la période Gheorghiu-Dej et la période Ceaușescu sont sensiblement différentes.
1945-1965 : Sous Gheorghiu-Dej, la répression est violente. Les prisons sont pleines à craquer. Les gens sont arrêtés pour un oui ou pour un non. La terreur règne.
1965-1989 : Sous Ceaușescu, la méthode de la carotte et du bâton prend le dessus. Ceaușescu a compris le parti qu’il peut tirer de la peur. Il prévient qu’il récompensera les « bons élèves », mais châtiera les mauvais et les montrera du doigt. Et moins il y aura de « mauvais », plus il récompensera. A partir de là, tout un chacun se veut « bon élève », afin de profiter des médiocres privilèges octroyés par le dictateur (un salaire plus important, des visas pour l’étranger, un appartement, etc.). La voie est ouverte à l’envie et à la délation. Les arrestations interviennent uniquement lorsqu’il y a opposition déclarée. Cela n’est pas monnaie courante. Et le nombre de détenus politiques est infiniment moindre que par le passé. Le pays lui-même est devenu une vaste prison.
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