Le titre du roman de
Ludmila Oulitskaïa exprime merveilleusement l'apparente contradiction de son propos, la mort y côtoyant une joyeuse effervescence.
L'auteur y met en scène des représentants de la diaspora russe, installés aux Etats-Unis, qui se retrouvent au chevet d'Alik, gravement malade, dont les jours sont comptés. On trouve là ses proches : sa femme Nina, fragile et superstitieuse, voire stupide ; sa maîtresse Valentina ; l'une de ses ex, Irina, accompagnée de sa fille surnommée Tee-shirt, une gamine anciennement mutique que seul Alik a su faire parler. Mais grouille aussi une foule de quidams dont le lien avec le futur défunt est plus ou moins lointain, parmi lesquels son médecin, une guérisseuse qui encombre la chambre de ses flacons aux plantes miraculeuses, un prêtre -Nina ayant insisté pour que son époux se fasse baptiser avant de quitter ce monde- et un rabbin -l'intéressé ayant accepté à condition que soit également présent le représentant d'une confession à laquelle, agnostique mais curieux, il n'adhère pas vraiment.
Ce petit monde éclectique et animé est à l'image de ce que fût la vie d'Alik, artiste peintre à la mémoire éléphantesque, épicurien, et qui malgré son étiolement physique croissant, conserve une gouaille et une insouciance inouïes. Il contemple toutes ses allées et venues avec un humour à la fois acéré et attendri.
Dans l'appartement de Manhattan, plombé par une canicule douloureuse pour certains des migrants habitués à un autre régime de température, envahi de la musique sud-américaine que joue sous les fenêtres un groupe de mendiants, on boit et on discute, on mange et on fait des chèques pour aider le couple désargenté à couvrir les frais des futures obsèques. On regarde, à la télévision, les images des tanks entrés dans Moscou, témoignant de l'agonie de l'URSS…
Ces hommes et ces femmes, différents par leurs dons, leur éducation, leur qualités humaines, ont comme point commun d'avoir quitté la Russie, certains dans la légalité, d'autres comme réfugiés, ou en s'évadant. Quelles que soient leurs divergences ou la façon dont leur vie a tourné en exil, ils sont liés par la fracture d'une ligne de vie coupée net, l'arrachement de leurs racines, l'implantation dans une nouvelle terre et le besoin, d'autant plus fort que leurs difficultés en Amérique sont complexes et insurmontables, de se prouver qu'ils ont fait le bon choix.
Roman bref et pourtant abouti, l'auteur plantant en quelques phrases ses personnages et toute la complexité de ce qui les lient les uns aux autres, "
De joyeuses funérailles", comme son triste l'indique, n'est jamais triste -bien que teinté d'une certaine mélancolie- mais profond, vivant, et réjouissant par sa dimension parfois théâtrale.
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