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Critique de Nastasia-B


Aujourd'hui, je sais — oh oui je sais ! —, que je vais ENCORE m'attirer les foudres d'une myriade de lecteurs ou lectrices enflammé(e)s, qui vont cracher, hurler, fulminer, s'indigner, sortir les cageots de tomates pourries, tourner le dos définitivement, et toute l'armada d'actions vindicatives que vous pouvez imaginer, m'accuser de ci ou de ça en face, et de bien plus par derrière ; je commence malheureusement à être habituée depuis le temps, à chaque fois que j'écris des critiques ouvertement négatives et à contre courant de la majorité...

Aussi est-il urgent, plus que nécessaire, de préciser, de re-re-re-repréciser que ce que je vais exprimer n'est nullement une VÉRITÉ, mais seulement et uniquement MA vérité, qui plus est, ma vérité du moment, car chacun sait que nos propres opinions à propos des mêmes ouvrages sont parfois sujettes à fluctuations au cours de nos existences.

Sans suspense aucun, donc, à mon misérable avis, donc, qui n'est que mon avis, donc, je considère que ce livre est pauvre de chez pauvre, indigent de chez indigent, voire un peu en dessous. Et, selon moi, si Camille Saint-Saëns a composé le Carnaval des animaux, Delia Owens a composé le carnaval des stéréotypes, clichés et autres poncifs ou archétypes.

D'aucun(e)s me rétorqueront que ce livre est un best seller, que des millions de gens ne peuvent pas avoir tous plébiscité un ouvrage moyen voire faible. C'est un argument, c'est vrai, mais — j'ai vérifié — la vidéo la plus vue sur le web en 2023 est « Baby shark » de Pinkfonk, une musique sensationnelle au synthé, des séquences répétitives de 2 mots dont l'un revient à chaque fois et des gamins qui se trémoussent en ayant l'air stupide, oui, cela suffit à faire un carton.

Si je file la métaphore sur le plan alimentaire, le succès du Nutella et du hamburger-frites ne se dément pas. Est-ce à dire que c'est un gage absolu et avéré de qualités nutritive et gustative ? Libre à chacun de le penser... Bon, mais argumentons, sur l'ouvrage en lui-même, car ce ne sont là que des comparaisons, et vous connaissez le proverbe, comparaison n'est pas raison.

Alors voici une petite fille, née en 1945, dont on nous narre les aventures à partir de 1952 jusqu'en 1970. Vous avez noté, 7 ans au départ. À 7 ans, donc, notre brave et charmante Kya, diminutif de Catherine Clark (ah ! diminutifs américains de mes rêves, comme je vous aime ! j'ai déjà parlé une fois des Bob et des Chuck, mais là, Kya, un nom de bagnole, c'est pas mal non plus, dans le genre) se fait abandonner par sa mère.

Laquelle mère est une femme aimante, sympa, géniale, mais, mais, mais, battue, cliché n°1, par un mari minable, boiteux, alcoolique et violent, cliché n°2. La mère aimante, sympa et géniale, donc, se barre en laissant la gamine la plus jeune de la fratrie, invraisemblance n°1. Les autres frangins/frangines plus âgés foutent le camp également, on ne sait pas trop comment, ils sont d'ailleurs tous fantomatiques, hormis l'un d'entre eux, qu'on reverra plus ou moins plus tard pour les besoins de la narration larmoyante de bas étage. Mais ça c'est pour plus tard...

Pour l'heure, Hyundai, euh... Kya, pardon, se retrouve seule avec cliché n°2, qui risque de la bastonner, l'abuser, maltraiter, que sais-je, mais, mais, mais, non, non, non, il faut évaporer cliché n°2 afin que Kya deviennent une enfant sauvage, stéréotype n°1.

Voici donc une gamine de 7 ans, dans un marécage, j'ai oublié de vous le préciser, et pas le marais poitevin ou la baie de Somme, non, un bon vieux gros marécage farouche, du genre bayou la gadoue version Caroline du nord, stéréotype n°1, donc, qui à 7 ans sait démarrer le bateau à moteur de cliché n°2, formant l'invraisemblance n°2, lequel bateau à moteur dont on nous précise qu'il est déjà sub-claquant en 1952, tiendra plus de quinze ans sans défaillir jamais, invraisemblance n°3 pour quiconque a déjà manipulé ce genre d'engin, qui plus est à l'époque, mais passons.

Stéréotype n°1 n'ira donc jamais à l'école en semant tous les agents fédéraux venus la chercher, invraisemblance n°4, en coupant elle-même son bois de chauffage et de cuisine à la main durant toutes ces années, invraisemblance n°5, en ne tombant jamais malade pieds nus et les mains dans la vase toute la journée, été comme hiver au milieu des moustiques et des infestations de microalgues, invraisemblance n°6, vivra pendant plus de quinze ans exclusivement de la vente de moules, récoltées elles aussi été comme hiver, bien entendu, invraisemblance n°7, sans jamais se raréfier là où stéréotype n°1 les collecte abondamment.

Bon, bon, bon, mais encore, il manque quelques clichés, vous ne trouvez pas ? Alors mettons, cliché n°3, Chase, le bellâtre mais qu'est pas sympa en vrai et qui court les filles pour faire rien qu'à les plaquer ensuite ; cliché n°4, le gentil brave garçon qui l'est amoureux d'elle depuis l'enfance et qui l'en dévie jamais sauf pour les besoins de la narration et qui lui apprend à lire en lui échangeant des plumes de croupion de piafs qu'elles sont sensationnelles comme plumes et que personne ô grand personne n'en a jamais rien vu de telles, et que lui, Tate, alias cliché n°4, il va devenir un grand scientifique gentil, avec un gentil bateau à moteur qui va venir étudier le gentil plancton dans le gentil marécage à la gentille Stéréotype n°1. Ouaiiiis !

Tous les gens blancs y sont tous méchants, cliché n°5, sauf le gentil, gentil Jumping, un pompiste noir, cliché n°6, le seul qui a réellement compris tout le potentiel insoupçonné de Stéréotype n°1 et qui lui achète ses moules sans défaillir pendant des décennies.

Le problème, bien entendu, c'est qu'un jour, cliché n°3 est retrouvé mort dans le marécage ; tous les clichés n°5 pensent que la coupable c'est Stéréotype n°1, sauf clichés n°4 et n°6. Entre temps, Stéréotype n°1 a tellement appris à lire grâce à cliché n°4, qu'elle s'enfile des bouquins universitaires sur la biologie des marais, invraisemblance n°8, qu'elle finit par écrire elle-même des bouquins scientifiques de haut vol, invraisemblance n°9, qui sont tellement bien, ses livres sur la microfaune des marais que tous les éditeurs se battent pour la publier, invraisemblance n°10, et que les bouquins s'arrachent, invraisemblance n°11, et permettent à Stéréotype n°1 d'en vivre correctement rien qu'avec les droits d'auteur, invraisemblance n°12.

On n'imagine pas, il est vrai, combien dans les années 1960 les gens étaient prêts à tuer pour mettre la main sur un livre universitaire traitant des libellules ou des copépodes, c'est pas croyable, c'était une vraie folie, il fallait au moins trente vigiles devant le rayon marécage de toutes les librairies du pays.

Je vous ai épargné une bonne cinquantaine d'invraisemblances, une bonne centaines de clichés, un petit milliard de stéréotypes le tout conduisant au virage " policier " du roman. Attention les amibes, là, question policier, ça dépote, c'est du grand, grand...

... vous savez quoi ? Je vous laisse mettre le mot que vous voulez tellement c'est bon, c'est puissant, c'est du jamais lu. Et à la fin, le gentil cliché n°4 et la brave wonderwoman Stéréotype n°1, ils vécurent heureux et... mince, au risque de vous heurter, j'ose vous apprendre que ce couple ô combien crédible, intéressant psychologiquement et à tous égards n'aura pas d'enfant. C'est-à-dire, le contre-cliché, qui est lui-même tellement un poncif, qu'il est devenu un cliché.

Bref, une soupe, du début à la fin, aussi limpide et appétissante que l'eau du marécage où elle est née. Une fois encore, malgré les avis que j'avais pu lire, le profil de l'auteure, qui m'avait attirée, c'est raté en ce qui me concerne pour ma quête du premier grand roman du XXI ème siècle. Voici un livre qui ne sort jamais de son écriture scolaire et de son intrigue improbable et cousue de fil blanc. Noyer le lecteur sous des hectares d'eau stagnante, sous une faune et une flore données, aussi intéressantes puissent-elles être dans l'absolu — et ce n'est pas la biologiste marine de formation que je suis qui le démentira —, n'a jamais suffi à faire d'un roman un grand roman. Car un grand roman, je le rappelle, au risque de me répéter, ce sont de grands personnages, des personnages marquants et crédibles, pas une ribambelle d'archétypes foireux accolés les uns aux autres. Mais ça n'est que mon avis, bien sûr, et vous connaissez ma ritournelle.
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