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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Pour une fois, j'ai vraiment pris le temps. le temps de le déguster ce livre de près de 600 pages, livre étonnant, très original, étrange pourrait-on dire, teinté de réalisme magique, véritable hommage aux pouvoirs des mots et au rôle salvateur des livres, où les « choses » et toutes les pulsions contradictoires qu'elles engendrent – entre accumulation obsessive et besoin vital de dépouillement – en sont les véritables protagonistes.

C'est l'histoire d'une mère, Annabelle, et d'un fils, Benny, qui perdent pied après la mort de Kenji, ce père adoré mi-japonais, mi-coréen, une mort stupide qui plus est : cet artiste, prodigieux musicien de jazz, amateur d'alcool et d'herbes, rentre un soir dans un état second du fait des drogues dont il a abusé, et, après s'être allongé sur la route, se fait écraser devant chez lui par un camion transportant des poulets. Une mort absurde aux conséquences dévastatrices pour ses proches.

Le vide laissé par l'absence va être comblé par d'étranges phénomènes touchant aux objets : Annabelle se met à remplir névrotiquement la maison de tous les objets qu'elle peut trouver, achetant de façon compulsive toute sorte de choses, malgré la précarité traversée désormais, afin de se constituer comme un rempart d'objets, collectionnant les choses les plus diverses, les boules à neige, les jouets vintage, les bouteilles, les cartes postales, entre autres. La maison devient un tel capharnaüm, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, qu'elle est menacée d'expulsion par son propriétaire.

« Elle se glissa près de la maison, entre le mur et la clôture, et se hissa jusqu'à la fenêtre. Un store vénitien accroché de travers pendait derrière le carreau mais l'Aleph parvint à distinguer l'intérieur. Ses yeux mirent quelques instants pour s'acclimater aux objets amassés dans la cuisine. Elle commença à discerner des détails, les sacs-poubelle entassés le long des murs, les paniers de linge, les cintres emmêlés, le tuyau de l'aspirateur enroulé autour d'un pied de la table, le couvercle d'une essoreuse à salade dépassant d'un carton pour colis. Elle vit une lampe cassée, un égouttoir à vaisselle, un beagle avec un chapeau carré, et au milieu de tout cela, Annabelle. La mère de Benny était assise, seule, sur une petite chaise de cuisine, avachie, immobile ».

Benny, lui, entend parler les objets, entend leurs voix, capte leurs émotions, leur histoire, au point de passer pour un fou et de se croire fou tant la cacophonie est perturbante, semblable au « murmure d'une foule au début d'un concert ». Autour de lui, les objets susurrent, grognent, pleurnichent, crient, hurlent, parfois chantent et fredonnent.
La cohabitation entre les deux va ainsi devenir de plus en plus compliquée, la mère ne cessant d'accumuler quand le fils souhaite lui à tout prix se dépouiller…

Comment trouver la paix face au vertige, au chaos, à la solitude et à la précarité ? Où est la frontière entre le rêve, les sensations et la réalité ? Qu'est-ce que le réel ? La poésie émerge-t-elle de ce chaos ? La présence des livres, les milliers de livres de la Bibliothèque municipale feutrée dans laquelle se terre avec bonheur Benny au lieu d'aller à l'école, mais aussi un livre, un seul, celui de Aikon, la bible du rangement, pour Annabelle, pourront-ils leur venir en aide ? Les personnes marginales côtoyées, à priori infréquentables, ou celles lointaines qui écrivent sur la sagesse peuvent-elles leur montrer la voie ?

La marginalisation de la mère et du fils à laquelle nous assistons avec effroi rend les personnages terriblement attachants. Nous comprenons à quel point il est nécessaire pour chacun de respecter son temps de deuil, temps que la société, avec ses rythmes imposés, ne respecte pas toujours, et accepter le processus du deuil propre à chacun.

J'ai beaucoup aimé ce roman singulier. J'ai aimé prendre le temps et sentir toute son étrangeté, j'ai adoré me laisser bercer sans me poser de question par son côté fantastique. La référence à Jorge Luis Borgès est évidente, depuis le prénom de la jeune fille marginale qui aide Benny, l'Aleph, jusqu'à la bibliothèque quasi vivante en son coeur, qui semble infinie tout autour, qui n'est pas sans rappeler la célébrissime nouvelle de Borgès : La bibliothèque de Babel. Ce livre est un hommage au livre et aux lieux qui les accueille, les bibliothèques, véritables refuges pour se retrouver, se reconstruire.
L'Aleph, quant à elle, est une célèbre nouvelle de Borgès dans laquelle un homme, lui aussi dénommé Borgès, se lie d'amitié avec un poète pompeux occupé par l'écriture d'un poème intitulé « La Terre » dans lequel il a pour ambition de versifier la planète entière. Pour cela, il détient chez lui un Aleph, « un point dans l'espace dans lequel se trouvaient tous les points » grâce auquel « chaque chose équivalait à une infinité de choses, parce que je le voyais clairement de tous les points de vue de l'univers »…Force est de constater que la jeune fille aux nombreux piercings, aux cheveux blancs, à la vie totalement marginalisée, vivant en compagnie d'un clochard, poète connu dans son pays d'origine, provoque un effet ainsi cosmique sur Benny. de même, part belle est faite au philosophe allemand Walter Benjamin, chaque partie du livre démarre avec une citation de cet auteur. Pour ma part, ce livre m'a donné envie de retenter l'expérience avec Borgès, le premier essai ayant été un cuisant échec…

J'ai trouvé très intéressante la façon dont sont abordés les maux psychiatriques touchant Annabelle et Benny. Si l'obsession de l'accumulation de la mère permet à l'auteure de dénoncer les affres de la surconsommation, du matérialisme au sein de la société capitaliste, ce que vit le petit Benny est une ode à la différence où la question de la folie le dispute à la sensibilité poétique et empathique dont il est capable. Les objets fabriqués lui parlent, les voix des personnes qui les ont fabriqués y étant restées accrochées, comme une odeur s'accroche à un vêtement. Tout ce qui n'est pas fabriqué, comme les arbres ou les galets, parle aussi mais avec une voix différente.

« Ce n'est pas toujours horrible. Il y a des fois où les voix sont belles, agréables, comme celle du canard en plastique que ma mère a trouvé dans une benne. Je ne parle pas du coin-coin affreux qu'il produit quand on appuie dessus, mais des autres voix, celles de l'intérieur, qui correspondraient plus à un souvenir de la mer, des marées, du gonflement des vagues et des rivages, et à quelque chose de vaporeux aussi, à la fois doux et voilé, comme si une personne exceptionnelle l'avait un jour touché ».

L'auteure touche du doigt avec beaucoup de subtilité la maladie mentale, met en valeur la frontière, poreuse, entre celle-ci et la création artistique empreinte de solitude, la poésie qui émane souvent d'états seconds ou délirants qu'il suffit d'accepter et de recueillir pour en faire quelque chose de beau et d'intime.


Ozéki sait de quoi elle parle étant elle-même métisse comme Benny, née d'un père américain et d'une mère japonaise, vivant au Canada, ex-réalisatrice de films, ordonnée « religieuse zen » depuis 2010. Elle ose vraiment balayer les frontières de genre, son livre est multifacette. Entre onirisme et récit psychiatrique, fable zen sur le vide et le plein, métaphore étrange enveloppée de réalisme magique, chronique sociologique de l'Amérique trumpienne, l'auteure, avec tendresse et douceur, élégance et grâce, avec poésie aussi et même un certain humour, dénonce le capitalisme, la surconsommation, analyse la fantaisie imaginative adolescente et franchit la frontière entre solitude artistique et maladie mentale, les livres comme refuge envers et contre tout. D'ailleurs une voix nous raconte cette histoire, c'est celle d'un objet parlant, le livre que nous-mêmes, lecteurs, tenons entre les mains. Une mise en abime borgésienne tout à fait délicieuse ! Pas étonnant que cette auteure ait eu le Womens Prize for Fiction en 2022 !
En tout cas, après cette lecture étonnante, je me prends à regarder autrement les choses qui m'entourent, et à penser à l'harmonie dont elles peuvent, ou pas, être à l'origine, à réfléchir au fardeau, pas si tranquille, dont elles sont lestées.

Un grand merci à @Kiitywake dont le retour m'avait tant interpellé que j'avais aussitôt acheté ce livre qui a trop peu de retours.

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Annabelle et Kenji vivent un grand amour. de cet union, nait Benny. Quand Kenji meurt d'un accident stupide, Benny commence à entendre des voix. Car oui les objets ont, eux aussi une voix.
C'est un livre plein de poésie et un peu loufoque à la fois.
La plume est belle et poétique. Il y a un côté un peu fantastique aussi avec ses objets qui parlent et s'expriment.
On sent la peine de Benny, son deuil qui se fait via la communication avec les objets. Sa mère qui perd pied quand son grand amour meurt.
J'ai trouvé l'histoire de cette famille émouvante.
La construction est originale. le livre interpelle le lecteur, dialogue avec Benny puis laisse Benny raconter.
Un joli moment de lecture.
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#RuthOzeki #NetGalleyFrance
Avant tout merci à NetGalley France et aux Editions Belfond de m'avoir permis de lire ce livre.
Ce livre est l'exemple type d'un grand livre rendu presque insipide à cause d'une traduction, le style n'est pas très fluide. Comme il a été lauréat du prestigieux Women's Prize for Fiction, et que les critiques américaines s'accordent à parler de lyrisme, le décalage est vraiment trop grand avec la version traduite.
le rythme est lent, mais bon, la composition en 5 parties, puis par des chapitres alternés entre Benny et le livre aident beaucoup. le sujet est grave il s'agit aussi bien pour Benny que pour sa mère d'accepter la mort assez traumatisante de son père. le vide que laisse Kenjy est immense, Benny vénérait son père, et pour Annabelle il était le pilier central de leur famille. Chacun à sa manière, ils vont tenter de combler ce vide, Annabelle par l'accumulation compulsive d'objets, Benny va entendre des voix, et son seul refuge va être la bibliothèque pour ne plus entendre ces voix. Très belle peinture de société, notamment l'entourage de Annabelle et Benny, mais aussi tout le côté curatif. Cette marginalisation lente des deux personnages centraux du livre est presque effrayante. Bien souvent la société ne permet pas aux individus de faire leur deuil à leur propre rythme. Chacun à son propre "fardeau" à porter, pour reprendre le titre du livre. Un très bon livre qui aurait mérité plus de soin pour sa traduction.
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Quel livre ! Magnifique ! J'ai adoré ce texte. Il y a beaucoup de grâce, de douceur et d'élégance dans l'histoire que nous conte l'auteure. L'histoire commence mal, mais finit bien. J'ai été particulièrement sensible au traitement de la différence. Il me semble qu'aux USA, c'est bien pire qu'en France. On donne des médicaments et on essaie de faire rentrer les gens dans des cases médicales alors que nous sommes tous si différents les uns des autres. Je ne peux que recommander la lecture de ce roman si particulier.
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Voilà un livre extrêmement original, qui laisse un arrière-goût agréable et durable. On se trouve après cette lecture à porter davantage attention aux choses, à l'harmonie qui nous entoure. Rien que pour cela, c'est un livre qui mérite d'être lu.
Le début est assez lent, il m'a fallu 1/3 pour vraiment "entrer" dedans. Je me demande si je n'aurais d'ailleurs pas dû le lire en version originale.
La construction est assez élaborée et complexe mais on s'y retrouve malgré tout. de très belles réflexions.
Petit bémol : je me suis demandée s'il n'y avait pas un peu trop de "rebondissements" programmés ?
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UNIQUE
Il y a un an, la vie du jeune Benny basculait. Son père trouvait la mort dans un accident.
Depuis, Benny et sa mère Annabelle souffrent du vide laissé par l'absence.
Depuis, Annabelle remplit la maison d'objets.
Depuis, Benny entend des voix.

Je découvre la plume de Ruth Ozeki avec ce roman atypique. L'histoire de Benny nous est contée par un livre. Un livre qui parle en son nom, qui parfois en dit trop, mais nous permet de découvrir Benny et sa mère, Annabelle.Un duo qui doit faire face au deuil, au vide, à l'absence laissée par Kenji, après son accident.

L'ambiance est vraiment particulière dans ce roman, le récit alterne entre les pensées de Benny et son histoire décrite par le livre. Un récit où les mots sont importants, pesés, poétiques et par moments hypnotiques. J'ai été happée comme transportée dans cet univers, loin de ma zone de confort. Un roman qui nous pose vraiment la question du réel, j'ai cru parfois que j'étais dans un rêve...

Un livre qui nous interpelle sur notre rapport aux objets, aux livres aussi qui ont « le pouvoir d'apporter le passé dans le présent, de vous faire remonter le temps, de vous aidera vous souvenir. Nous pouvons vous montrer les choses, faire vaciller votre réalité, élargir votre Monde, mais c'est à vous que revient la tâche d'ouvrir les yeux. »

Un roman touchant aussi, cette relation entre Annabelle et Benny est à la fois tendre, difficile mais terriblement émouvante.

A découvrir!
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