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Roger Caillois (Autre)René L. F. Durand (Autre)
EAN : 9782070296668
224 pages
Gallimard (25/11/1977)
4.13/5   596 notes
Résumé :
« L'Aleph restera, je crois, comme le recueil de la maturité de Borges conteur. Ses récits précédents, le plus souvent, n'ont ni intrigue ni personnages. Ce sont des exposés quasi axiomatiques d'une situation abstraite qui, poussée à l'extrême en tout sens concevable, se révèle vertigineuse.
Les nouvelles de L'Aleph sont moins roides, plus concrètes. Certaines touchent au roman policier, sans d'ailleurs en être plus humaines. Toutes comportent l'élément de sy... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (51) Voir plus Ajouter une critique
4,13

sur 596 notes
"Il existe un fleuve dont les eaux donnent l'immortalité; il doit donc y avoir quelque part un autre fleuve dont les eaux l'effacent."
Ou encore, comme nous le rappelle Borges, en citant les livres hermétiques - "ce qu'il y a en bas est identique à ce qu'il y a en haut" - et vice versa.

Dans le musée d'art moderne au Centre Pompidou il y a un bien étrange objet. C'est une caisse métallique remplie de miroirs triangulaires, qui se renvoient votre reflet entre eux - c'est donc une image dans un miroir reflétée par la multitude d'autres miroirs; un labyrinthe fait des mêmes images, reflétées et entremêlées à l'infini...
Cela s'appelle "Mirror Vortex" - et c'est encore le meilleur exemple que j'ai trouvé pour vous décrire l'univers de "L'aleph".

Fidèle à ses thèmes de prédilection, Borges les aborde à nouveau dans ce recueil de contes philo-métaphysiques. La quête éternelle de l'immortalité, le multiple et l'unique, la recherche de l'absolu... le thème de "double", si présent dans son "Livre de sable", glisse ici vers "l'éternel" et "l'universel"; nous nous promenons dans les labyrinthes réels et psychiques à la fois.

Malheureusement (ou heureusement ?), l'homme se situe entre les deux "fleuves" mentionnés plus haut - d'où sa recherche perpétuelle de quelque chose d'impossible à atteindre...
Comme dans l'histoire de ce noble aventurier de "L'immortel", qui part à la recherche de la cité perdue - pour, finalement, apercevoir une infime partie de la vérité... l'immortalité est un fardeau; il ne sert à rien de construire des cités qu'on abandonne par lassitude. La perspective fatigante de l'éternité devant, on abandonne toute action, on s'endort...
Etrange hasard - je lisais Lovecraft en même temps, et j'ai trouvé frappante la similitude entre son histoire "La cité sans nom" et "L'immortel". La "cité" est toujours là, abandonnée depuis... le temps est tellement relatif ! - ainsi que ses créateurs qui peuvent resurgir dans une heure... dans dix mille ans ? - pour eux, ça n'a aucune importance ! Même le mot "jamais" n'a peut-être plus le même sens...

Les notes en marge des histoires de Borges sont, comme toujours, un joyeux mélange de vrai et de faux, et en font une partie intégrante. (Encore une chose en commun avec Lovecraft, mais il suffit !)
On passe un moment avec le savant Averroës, qui peine avec la traduction d'Aristote et les mots "tragoedia" et "comoedia" - car le concept même de théâtre lui est inconnu. Il discute, à son insu, le théâtre avec ses amis - mais la réponse lui vient d'ailleurs - car le "theatrum mundi", même sans connaître l'expression, est un concept universel.
On suit une dispute érudite pour condamner au bûcher un homme qui est une "idée", une "somme", ou le "reflet" des autres hérétiques - " Si l'on réunissait ici tous les bûchers que j'ai été, ils ne tiendraient pas sur terre et les anges en seraient aveuglés." - une dispute dont le gagnant se rend compte qu'il utilise les phrases de son adversaire pour le contredire !
On trouve un "Zahir" - mais attention, c'est dangereux ! Ca vous fait réfléchir sur l'argent d'une façon dont vous ne le faites pas habituellement.

Et peut-être que sur la dix-neuvième marche de l'escalier qui mène dans votre cave, sous un angle bien précis, vous verrez "l'Aleph" - "le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l'univers, vus de tous les angles".
Alors, vous comprendrez TOUT - mais je ne sais pas si je vous le souhaite !


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Il est toujours un plaisir pour moi de lire Borges. J'ai lu avec délectation chacune des nouvelles composant ce recueil.
Borges, toujours fidèle à son style et à sa magie, transporte son lecteur dans des lieux extraordinaires à la découverte de choses et d'histoires fabuleuses. Il le mène avec sa ruse borgésienne multipliant les références et les noms. Il ne raconte pas, Borges construit des labyrinthes.

De la nouvelle métaphysique (si l'on veut) à la nouvelle policière, au conte philosophique mais aussi mythologique, on se perd pour se retrouver, comme disait Claude Mauriac, plus intelligent.

Pour Borges, qui a toujours beaucoup lu, tout est imprégné de littérature universelle. Chaque acte s'explique par la littérature et trouve un écho en elle, chaque être a un double littéraire ou mythologique. Dans les nouvelles de Borges rien n'est écrit au hasard, chaque phrase a son importance dans la construction. Assoiffé de savoir et de découverte, Borges poursuit sa recherche de l'absolu, de l'ultime, du tout qui réunit toutes les connaissances de l'univers, tous les lieux, tous les objets, de la phrase qui résume tout le mystère de l'existence. Pour lui ; le monde est un vrai labyrinthe insondable, qui garde ses secrets, et tout homme représente tous les hommes dans un jeu de symétries.

L'une des nouvelles, "La Demeure d'Astérion" m'a rappelé curieusement un chapitre d'"Eloge de la marâtre" de Vargas Llosa où le narrateur est un monstre qui est la "Tête I" peinte par Francis Bacon. Les deux personnages sont des monstres inspirés de tableaux et de la mythologie, sont naïfs, sympathiques et pathétiques.
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Ce billet concerne uniquement la nouvelle « La quête d'Averroés », de l'Aleph de Borges, nouvelles lues il y a trés longtemps. Suite au billet de Pecosa sur « Averroés ou le secrétaire du diable » et son commentaire sur cette nouvelle, j'ai repêché le livre du tréfonds de ma bibliothèque, n'en ayant plus aucun souvenir et son billet m'étant trop intrigant.
Averroés , médecin arabe, philosophe, vivant à Cordoue a l'époque de l'Andalousie musulmane ( XIIe siècle), se consacre dans son oeuvre Tahafut-ul-Tahafut ( Destruction de la Destruction) à la pensée d'un homme dont quatorze siècles le sépare, Aristote. Il est à la recherche du sens de deux mots tragoedia et comoedia de l'oeuvre du philosophe grec..... en faites il est en quête de l'évident, mais....
Borges prenant la parole à la fin de la nouvelle que je vous laisse découvrir, s'identifie à Averroés, « Je compris qu'Avarroés s'efforçant d'imaginer ce qu'est un drame, sans soupçonner ce qu'est un théâtre, n'était pas plus absurde que moi, m'efforçant d'imaginer Averroés sans autre document que quelques miettes de Renan, de Lane et d'Asin Palacios..... ».
Brillant !
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« L'Aleph », qui désigne la première lettre de l'alphabet hébreu, est un recueil de nouvelles publié en 1949 par Jorge Luis Borges et traduit par Roger Caillois. Si ce recueil est moins connu que le célèbre « Fictions » qui parut en 1944, il restera selon son traducteur émérite, « comme le recueil de la maturité de Borges conteur ».

Pour appréhender cet ouvrage, il faut tout d'abord établir que Borges n'écrit pas des nouvelles au sens où on l'entend habituellement, au sens où Raymond Carver, John Cheever, Stefan Zweig et tant d'autres écrivent de courts récits dans un format condensé qui leur confère une force de percussion que ne permet pas le roman.

Les textes de Borges, témoignent d'une érudition étonnante, et abordent des thèmes souvent vertigineux tels que l'ubiquité, la réalité, l'identité, la nature de l'infini, ou encore l'éternité. On y retrouve une forme d'obsession pour les labyrinthes aux méandres inextricables (« Le jardin aux sentiers qui bifurquent »), la circularité au sens quasi-métaphysique du terme (« Les ruines circulaires ») ainsi que la dualité qui traverse tant de personnages borgésiens (« Le guerrier et la captive »).

Pour caractériser les textes recueillis dans « Fictions » ou dans « L'Aleph », il faudrait reprendre la formule de Roger Caillois qui désigne l'auteur argentin comme l'inventeur du « conte métaphysique ». Borges se soucie en effet assez peu du réalisme de l'intrigue souvent minimaliste de ses textes, qui ont essentiellement pour objet d'explorer l'un des thèmes exposés plus haut et de plonger son lecteur dans une sorte de vertige métaphysique.

Ainsi que l'explique Caillois dans le quatrième de couverture, « L'Aleph » est un recueil de « nouvelles » qui sont plus incarnées, « moins roides, plus concrètes » que ses récits précédents qui évoquent davantage « des exposés quasi-axiomatiques d'une situation abstraite ». S'il ne renie pas son goût pour une exploration vertigineuse de ses thèmes de prédilection, l'auteur de « L'Aleph » se fait davantage conteur, et donne une touche plus humaine à ses récits, notamment lorsqu'il aborde la question de la vengeance dans le très beau « Emma Zunz ». C'est sans doute la grande réussite de ce superbe recueil, réussir à incarner ses personnages, à dérouler de véritables intrigues, sans jamais renier une forme d'ambition métaphysique qui se traduit à travers l'obsession de l'auteur pour les jeux de miroirs, les labyrinthes, la dualité, ou l'éternité.

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Le texte qui suit propose une analyse plus détaillée du premier texte du recueil, « L'Immortel », qui est également l'un des écrits les plus célèbres de Jorge Luis Borges.

Le narrateur, un soldat romain nommé Flaminius Rufus, y rencontre un cavalier mourant, à la recherche du fleuve « qui purifie les hommes de la mort », situé selon lui en « Extrême Occident, où se termine le monde » et au côté duquel s'élève la « Cité des Immortels ». Fasciné par la possibilité de devenir immortel, notre héros va entreprendre de trouver le fleuve en question, avec le soutien de deux cents soldats et de plusieurs mercenaires.

A l'issue d'une longue quête qui le laisse seul et à moitié mort, Flaminius finit par atteindre le fleuve, boire son eau et inspecter la toute proche Cité des Immortels. Cette dernière ressemble à un labyrinthe monstrueux, à une construction insensée d'hommes ou de dieux devenus fous. Les immortels qui vivent au bord du fleuve ont cessé depuis longtemps de parler, et ne font qu'accomplir les tâches les plus élémentaires d'une vie qui a depuis longtemps perdu toute signification.

L'un d'entre eux, aussi humble que miséreux, suit Flaminius à la manière d'un chien, si bien que le soldat romain le surnomme « Argos », en mémoire du vieux chien mourant de l'Odyssée. Ce surnom semble raviver la mémoire de l'immortel, qui recouvre la parole pour révéler son identité : il est Homère, l'homme qui écrivit mille cent ans plus tôt l'Odyssée.

En quelques lignes, Borges résume le destin épique de Flaminius jusqu'en l'an de grâce 1921, où ce dernier fait escale dans un port d'Érythrée et boit, comme il en a l'habitude, l'eau d'un ruisseau d'eau clair qui coule dans les environs. En remontant sur la berge, un arbuste épineux lui déchire le dos de la main et Flaminius comprend avec un immense soulagement qu'il vient de boire l'eau du fleuve qui ôte l'immortalité.

La nouvelle se termine par un paragraphe en forme de facétie toute borgésienne, qui interroge a posteriori l'identité du narrateur, et conclut que l'auteur des lignes qui précèdent est trop lettré pour un soldat, et s'intéresse davantage au destin des hommes qu'à la pratique de la guerre. Bref, il ne s'agit pas de Flaminius Rufus mais d'Homère lui-même.

« Quand s'approche la fin, il ne reste plus d'images du souvenir ; il ne reste que des mots. (...) J'ai été Homère ; bientôt je serai Personne, comme Ulysse ; bientôt je serai tout le monde : je serai mort ».

« L'Immortel » présente la particularité de mêler une authentique ampleur narrative avec le dessein métaphysique qui traverse l'oeuvre de son auteur.

Le lecteur est d'abord happé par la quête du soldat romain, par son accession à l'immortalité, avant de partager son immense déception devant le non-sens absolu qu'elle représente, symbolisé par l'atrocité labyrinthique qu'est en réalité la Cité des Immortels. Il finit soulagé pour le narrateur lorsque celui-ci recouvre sa condition de mortel, avant d'être désorienté par le dénouement qui remet en question l'identité de ce dernier.

Tout le génie de Borges est d'introduire une forme de réflexion purement spéculative au coeur même de son récit. Il parvient à nous faire ressentir l'absurdité absolue que représenterait une vie réellement éternelle, et le retour à un état quasi végétatif qu'elle engendrerait. On saisit d'ailleurs, à l'instar du héros, à quel point le statut d'immortel n'est absolument pas souhaitable. L'obsession mathématique de l'auteur pour le principe de symétrie sauve le narrateur : s'il existe un fleuve qui rend immortel, alors il en existe un autre qui permet de recouvrer la condition de mortel. Une autre obsession récurrente, très présente dans le recueil, est la dualité ; elle s'exprime ici dans la pirouette finale, qui voit se confondre les destinées du soldat Flaminius et de l'homme de lettres Homère.

Vertige métaphysique face aux implications d'une vie éternelle, recours à une symétrie quasi axiomatique, obsession pour la dualité au sein de laquelle se dissout l'identité, les principaux ingrédients du génie borgésien fécondent pour notre plus grand plaisir cet authentique chef d'oeuvre que constitue « l'Immortel ».
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J'ai écouté la nouvelle L'Aleph interprétée par l'inoubliable Michel Bouquet.
Le narrateur qui s'appelle Borges se consacre depuis des années à la mémoire de Beatriz Viterbo, sa bien aimée, morte en 1929. Quand elle était en vie Borges aimait sa Béatrice seulement en imagination. Depuis qu'elle est morte, il se sent plus libre, il peut pénétrer chez elle, toucher les objets qui lui ont appartenu et contempler les portraits multiples qu'on a fait d'elle. A chaque anniversaire de sa mort, le 30 avril, Borges se rend chez elle et fait la connaissance de son cousin germain, Carlos Argentinos Daneri qu'il méprise à cause de ses gesticulations et de son accent italien. On sent quand même une proximité certaine avec le narrateur car le cousin est bibliothécaire subalterne et se pique de faire des vers . Carlos Daneri veut que Borges le mette en relation avec un écrivain reconnu mais Borges s'abstient de le faire.
Cependant plusieurs mois plus tard Daneri lui téléphone très agité. La maison de ses parents et de Beatriz va être démolie ! Cette fois le narrateur compatit à sa douleur. Tout l'univers imaginaire du narrateur sera enseveli et Daneri ne pourra retrouver l'Aleph sous la salle à manger.
L'Aleph ? Vous vous demandez ce que c'est. Ah ! Ah ! Vous vous dites que le cousin est un peu dérangé comme toute la famille. Vous voulez en savoir plus, je vous connais. Et vous oubliez Beatriz. le narrateur aussi...


L'interprétation de l'inoubliable Michel Bouquet est formidable. du grand art.
J' ai lu la nouvelle, je l'ai relue, elle me fatigue un peu trop la cervelle et m'émeut seulement à la fin…L'aurais-je déjà oubliée demain ?
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Être immortel est insignifiant; à part l'homme, il n'est rien qui ne le soit, puisque tout ignore la mort. Le divin, le terrible, l'incompréhensible, c'est de se savoir immortel. J'ai noté que malgré les religions, pareille conviction est extrêmement rare. Juifs, chrétiens, musulmans confessent l'immortalité, mais la vénération qu'ils portent au premier âge prouve qu'ils n'ont fois qu'en lui, puisqu'ils destinent tous les autres, en nombre infini, à le récompenser ou à le punir. J'estime plus raisonnable la roue de certaines religions de l'Inde, qui n'a ni commencement ni fin, chaque vie est la conséquence d'une vie antérieure et elle engendre la suivante, sans qu'aucune ne détermine l'ensemble...
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Ne pouvant dormir, possédé, presque heureux, je me disais qu'il n'y a rien de moins matériel que l'argent, puisque toute monnaie (disons par exemple une pièce de vingt centimes) est, rigoureusement, un répertoire des futures possibilités. L'argent est abstrait, répétais-je, l'argent est du temps à venir. Ce peut être un après-midi dans la banlieue, ce peut être de la musique de Brahms, des cartes, un jeu d'échecs, du café, les paroles d'Epictète qui enseignent le mépris de l'or; c'est un Protée plus versatile que celui de l'île de Pharos. C'est du temps imprévisible, temps de Bergson, non temps dur de l'Islam ou du Portique. Les déterministes nient qu'il y ait au monde un seul fait possible, id est un fait qui a pu se produire; une pièce de monnaie symbolise notre libre arbitre.
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La veille, deux mots douteux l'avaient arrêté au seuil de la Poétique. Ces mots étaient tragoedia et comoedia. Il les avait déjà rencontré, des années auparavant, au livre troisième de la Rhétorique; personne dans l'Islam n'entrevoyait ce qu'ils voulaient dire. En vain, il avait fatigué les traités d'Alexandre d'Aphrodisie. En vain, compulsé les versions du nestorien Hunain ibn-Ishaq et Abu Basher Meta. Les deux mots arcanes pullulaient dans le texte de la Poétique; impossible de les éluder.
Averroës laissa la plume. Il se dit (sans trop y croire) que ce que nous cherchons est souvent à notre portée, rangean le manuscrit de Tahafut et se dirigea vers le rayon où étaient alignés, copiés par des calligraphes persans, les nombreux volumes de Mohkam de l'aveugle Abensida. C'était ridicule d'imaginer qu'il ne les avait pas consulté, mais il était tenté par le vain plaisir d'en tourner les pages. Il fut tiré de cette distraction studieuse par une espèce de mélodie. Il regarda à travers les grilles du balcon: des enfants demi-nus s'amusaient en bas, dans l'étroite cour de terre. L'un, debout sur les épaules de l'autre, jouait évidemment le rôle du muezzin. Les yeux bien fermés, il psalmodiait; "Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu". Celui qui le portait, immobile, représentait le minaret; un autre, prosterné dans la poussière et agenouillé, l'assemblé des fidèles. Le jeu s'interrompit vite; tous voulaient être le muezzin, personne la tour ou les fidèles. Averroës les entendit discuter en dialecte grossier, c'est-à-dire dans l'espagnol naissant de la plèbe musulmane de la Péninsule.
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Parmi les commentaires que suscita la publication du texte qui précède, le plus curieux, sinon le plus aimable, est intitulé bibliquement "A coat of many colours" (Manchester, 1948). C'est l'oeuvre de la plume très obstinée du docteur Nahum Cordovero. Il s'étend sur une centaine de pages. Il parle de centons grecs, de centons de la basse latinité, de Ben Johnson, qui définissait ses contemporains avec des extraits de Sénèque, du "Virgilius Evangelizans" d'Alexander Ross, des artifices de George Moore et d'Eliot, et, finalement, de "la narration attribuée à l'antiquaire Joseph Cartaphilus". Il dénonce, dans le premier chapitre, de courtes interpolations de Pline (Historia Naturalis, V, 8); dans le second, de Thomas de Quincey (Writings, III, 439); dans le troisième, d'une lettre de Descartes à l'ambassadeur Pierre Chanut; dans le quatrième, de Bernard Shaw (Back to Methuselah, V). Il infère de ces intrusions, ou de ces larcins, que le texte entier est apocryphe.
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Etre immortel est insignifiant ; à part l’homme, il n’est rien qui ne le soit, puisque tout ignore la mort. Le divin, le terrible, l’incompréhensible, c’est de se savoir immortel. J’ai noté que malgré les religions, pareille conviction est extrêmement rare. Juifs, chrétiens, musulmans, confessent l’immortalité, mais la vénération qu’ils portent au premier âge prouve qu’ils n’ont foi qu’en lui, puisqu’ils destinent tous les autres, en nombre infini, à le récompenser ou à le punir. J’estime plus raisonnable la roue de certaines religions de l’Inde ; dans cette roue, qui n’a ni commencement ni fin, chaque vie est la conséquence d’une vie antérieure et elle engendre la suivante, sans qu’aucune ne détermine l’ensemble…
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Vidéo de Jorge Luis Borges
INTRODUCTION : « Le siècle qui commence trouve une Argentine confiante en l'avenir. le positivisme à la mode met une foi illimitée dans les avancées du progrès et de la science, et la croissance de la jeune république autorise une vision optimiste du destin national. La classe dirigeante a bâti son programme sur la base d'une instruction publique et gratuite pour tous, destinée à réaliser l'intégration culturelle de la deuxième génération d'une masse énorme et hétérogène d'immigrants à peine débarqués d'Europe. Cette Argentine, qui est à l'époque une toute jeune nation - sa guerre contre les Indiens n'est terminée que depuis vingt ans -, dépend économiquement de l'Angleterre, est fascinée par la culture française et admire autant l'opéra italien que la technologie allemande. Ce qui ne l'empêchera pas de tâtonner à la recherche de sa propre identité, à la faveur d'un sentiment nationaliste exacerbé dès 1910 […]. L'avant-garde poétique porte le sceau du modernisme, largement diffusé à Buenos Aires par Rubén Darío qui […] marquera d'une empreinte durable la vie culturelle du pays. […] La quête de la modernité inscrite dans le nouveau courant anime déjà ce pays avide de rallier un monde qui ne jure que par Le Louvre, la Sorbonne et Montparnasse. […].  […]  La seconde décennie du siècle […] marque un tournant décisif dans la réalité argentine. […] Hipólito Yrigoyen accède au pouvoir. Avec lui surgit une nouvelle classe sociale, issue de l'immigration et amenée, pour un temps, à prendre la place de la vieille oligarchie qui a dirigé le pays depuis les premiers jours de l'indépendance. […] Cette modernité, qui relie les poètes argentins à l'avant-garde européenne, se concrétise avec le retour au pays de Jorge Luis Borges, en 1921. […] Dans un article polémique paru dans la revue Nosotros (XII, 1921), Borges explique : « Schématiquement, l'ultraïsme aujourd'hui se résume aux principes suivants : 1°) Réduction de la lyrique à son élément fondamental : la métaphore. 2°) Suppression des transitions, des liaisons et des adjectifs inutiles. 3°) Abolition des motifs ornementaux, du confessionnalisme, de la circonstanciation, de l'endoctrinement et d'une recherche d'obscurité. 4°) Synthèse de deux ou plusieurs images en une seule, de façon à en élargir le pouvoir de suggestion. » […] […] les jeunes poètes des années 20 se reconnaissent au besoin qu'ils éprouvent de revendiquer une appartenance et de se trouver des racines. […] Il faut attendre une dizaine d'années encore pour que, dans le calme de l'époque, de jeunes créateurs, avec l'enthousiasme de leurs vingt ans, apportent un élan nouveau et de nouvelles valeurs poétiques. Prenant leurs distances par rapport à l'actualité, ils remettent à l'honneur le paysage et l'abstraction, ainsi qu'un ton empreint de nostalgie et de mélancolie. […] Les années 60 correspondent en Argentine à une période d'apogée culturel. le secteur du livre est en plein essor ; de nouvelles maisons d'édition voient le jour et, conséquence du boom de la littérature sud-américaine, la demande d'auteurs autochtones augmente, ce qui facilite l'émergence de noms nouveaux. […] La génération des années 70, à l'inverse, est marquée au coin de la violence. Plus se multiplient les groupes de combat qui luttent pour l'instauration d'un régime de gauche, plus la riposte des dictatures militaires successives donne lieu à une répression sanglante et sans discrimination qui impose au pays un régime de terreur, torture à l'appui, avec pour résultat quelque trente mille disparus. […] » (Horacio Salas.)
CHAPITRES : 0:00 - Titre
0:06 - Alejandra Pizarnik 2:30 - Santiago Kovadloff 3:26 - Daniel Freidemberg 4:52 - Jorge Boccanera
5:51 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Horacio Salas, Poésie argentine du XXe siècle, traduction de Nicole Priollaud, Genève, Patiño, 1996.
IMAGES D'ILLUSTRATION : Alejandra Pizarnik : https://universoabierto.org/2021/09/27/alejandra-pizarnik/ Santiago Kovadloff : https://www.lagaceta.com.ar/nota/936394/actualidad/santiago-kovadloff-argentina-pais-donde-fragmentacion-ha-perdurado-desde-siempre.html Daniel Freidemberg : https://sites.google.com/site/10preguntaspara1poeta
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