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Critique de John_P


À la lecture de cette histoire du tapis roulant menée sur le mode « erratique et digressif de l'écriture fragmentaire » (p. 12), je me suis demandé, suivant ainsi l'appel fait au lecteur « de prendre le relais de cette quête à partir de (ses) propres intuitions analogiques, associations d'idées, lignes de fuite historiques » (p. 232) :
- comment, aujourd'hui, trouver (de manière individuelle) un lieu et un temps où l'on puisse se consacrer à la pensée lorsqu'on est au quotidien assommé par le travail salarié et par l'agitation de plus en plus foldingue au sein de certaines métropoles : ce qui fait écho à mes lectures du Phédon de Platon et à ses commentaires par Monique Dixsaut et par Benny Lévy ;
- pourrait-on alors faire un lien entre le dialogue de Platon et le motif de la cruauté qui court tout au long des Chaînes sans fin ? Dans le Phédon, il semble que la pensée entendue comme désir de penser, aimantée par la « sophia », par le langage de la philosophie, déborde le dualisme âme/corps (ou esprit/corps). le motif de la cruauté, sous cet aspect, poserait ainsi dans l'essai d'Yves Pagès la question du travail de l'esprit, du travail intellectuel (celui de l'inventeur-autodidacte, de l'entrepreneur comme de l'ingénieur, figures récurrentes de l'essai) en tant que ce travail ne s'oppose pas positivement à l'affairement du corps mais vise à asservir les corps et à barrer, à interdire toute possibilité de penser par-delà les cruautés d'un dualisme ici à l'oeuvre (qui connaît par exemple le travail industriel sait, encore aujourd'hui, que la pensée est parfois possible avant d'aller travailler mais jamais pendant ni après, cet après où l'on ne cherche plus qu'à tenter de défaire, d'apaiser les automatismes mortifères, tant au niveau physique que psychologique, les deux finissant d'ailleurs par se confondre dans la même bouillie, tout comme l'après se fond dans le retour perpétuel de l'avant - voir le rappel des luttes chez Peugeot, p. 206-207, et les films qui en témoignent) ;
- pour suivre ce fil de la cruauté jusque dans les rapports de domination et de résistance exposés dans le livre, ne faudrait-il pas aborder la question d'un certain « masochisme », sans pour autant donner du grain à moudre à l'adversaire, voire à l'ennemi ? Dans les quelques pages que j'ai pu lire de l'ouvrage de Catherine Malabou sur l'anarchie paru en 2022, j'ai l'impression que l'interrogation courait, que les « mécanismes de la domination » en s'appuyant sur une tendance psychologique à la domination entretenaient celle d'être dominé, tant au niveau individuel que collectif (c'est ce qu'il m'avait semblé comprendre, l'anarchisme cherchant à déplacer la vie sur un autre plan). J'avais relevé cette phrase : « comment, de toute manière, éviter la question psychanalytique lorsqu'il s'agit de domination ? » (p. 46). J'ai ensuite abandonné ma lecture, par manque de temps et de goût pour certains des auteurs étudiés (et l'esprit bourdonnant, déjà fatigué par le mot « anarchisme », comme par tant d'autres mots dont on ne sait plus quoi faire) ;
- lâchant le fil de la cruauté et du masochisme (quoique...), en quoi la « révolution informatique » évoquée p. 218 pourrait-elle être perçue comme une extension du transfert d'énergie animale et humaine nécessaire à « la mécanisation généralisée » dont témoigne cette enquête ? Ne peut-on considérer que, de manière parodique et terminale, en regardant une vidéo sur mon écran d'ordinateur (ce que doivent faire en même temps que moi des millions de post-humains), je participe à cette « mécanisation généralisée », dans sa dimension à la fois cybernétique et matérielle ? Ici, je repense à quelques livres qui m'ont accompagné pendant l'hiver et le printemps derniers : Lettres sur la peste d'Olivier Cheval ; L'altération des mondes de David Lapoujade ; La machine est ton seigneur et ton maître... Aux lectures qui en découlent : Cybernétique et société de Norbert Wiener ; Gramophone, Film, Typewriter de Friedrich Kittler ; le cas Ellen West de Ludwig Binswanger...

Enfin, sur un plan esthétique et toujours par analogies et autres lignes de fuite, les pages excellentes sur la « bagnole » et les drive-in (p. 194-195 notamment) m'ont fait rêvasser à Freud, Ballard, Cronenberg (et à la musique d'Howard Shore pour Crash).

(Pour une présentation claire de l'ouvrage, je conseille l'entretien accordé par l'auteur à la revue en ligne Lundi Matin.)
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