Une approche autobiographique et intellectuelle - poétique en un certain sens - d'une thématique qui parcourt romans et ouvrages de philosophie critique de manière de plus en plus insistante depuis le développement de la cybernétique : la numérisation/dématérialisation progressive de notre rapport au monde (en tant que processus d'artificialisation qui n'est pas sans poser la question du délire, de la folie dont nous sommes les contemporains - voir, par exemple, les romans de
Philip K. Dick et la lecture critique qu'en propose le philosophe
David Lapoujade).
L'écriture, où se mêlent sédiments post-romantiques et appropriations théoriques (Heidegger, Schürmann, Weil,
Bernanos...), dit l'inquiétude, voire la détresse d'un « je » évanescent, dont les repères semblent s'effriter à mesure que les écrans restent allumés et que le quotidien s'irréalise :
que faire dans un monde de la transmission d'informations où toute résistance individuelle à l'hégémonie numérique vous réduit à l'isolement, à une existence en trop (trop de matière, trop d'esprit), existence qui devient à son tour factice, jetable, résidu produit par et pour le bon fonctionnement de la machine ?
Deux ouvrages en lien plus ou moins étroit avec la pandémie, parus entre 2020 et 2022, m'ont intéressé : le livre de
Jean-Luc Nancy,
Un trop humain virus, et celui d'
Olivier Cheval,
Lettres sur la peste précédées de la domestication du monde. (Ouvrages auxquels j'ajouterai l'article de
Jacob Rogozinski paru dans le numéro 69 de la revue Lignes consacrée aux théories du complot.)
« Vois-tu, je crois que chacun a un âge pour toute la vie, un âge qui, une fois passé, demeure toujours un peu présent, comme en secret, derrière le corps qui change et vieillit - mais parfois aussi, c'est l'inverse, l'âge est déjà là avant que d'être atteint, il y a des enfants qui sont déjà comme de vieux sages. » (O. Cheval,
Lettres sur la peste précédées de la domestication du monde, 2022)
« La pandémie de la Covid-19 n'est que le symptôme d'une maladie plus grave, qui atteint l'humanité dans sa respiration essentielle, dans sa capacité à parler et à penser au-delà de l'information et du calcul.
Il est possible que le symptôme rende nécessaire d'agir sur la pathologie profonde et qu'on doive se mettre en quête d'un vaccin contre la réussite et la domination de l'autodestruction. Il est possible aussi qu'à ce symptôme en succèdent d'autres jusqu'à l'inflammation et l'extinction des organes vitaux. Cela signifierait que la vie humaine, comme toute vie, touche à son terme. » (J.-L. Nancy,
Un trop humain virus, 2020)