Il est presque minuit, Mado sort du Fouquet's, avenue des Champs-Élysées. Elle vient d'y claquer un dixième de sa mensualité d'institutrice. Et alors ? Ces petites folies dépensières ont un goût de revanche. Et puis, quitter une banlieue déserte pour le centre ville, c'est le moindre des dépaysements en période estivale. Disons qu'elle s'est payé un dîner d'anniversaire. Pour fêter quoi ? Le trou noir des vacances scolaires. Quand les congés payés ressemblent à deux longs mois d'arrêt maladie. Au menu, ni gâteau, ni bougie, juste un kir et quelques gélules en guise d'apéritif. Pour s'en sortir, son thérapeute lui a conseillé de sortir. C'est fait. Dans le haut lieu du noctambulisme parisien, elle espérait croiser, du regard au moins, une vedette. Chou blanc, plutôt salé à l'addition. Après le repas, un filin, n'importe lequel, pour distraire son célibat.
Au cinéma, on aurait dit une salle de e, mais sans élèves. Vingt-cinq rangées de fauteuils vides, tant mieux.
Deux heures plus tard, Mado rejoint son automobile, sans prendre garde à la foule tapageuse qu'elle traverse en somnambule. Tant pis, elle n'a plus le courage de tourner la clé du contact. Un autre cachet, et elle s'endort au volant, le corps en panne sèche. Mais les désœuvrés du samedi soir sont plus nombreux que d'habitude, et agités d'une joie unanime. La belle endormie, au point mort, les met en rage. Par dizaine, comme en apesanteur, ils marchent sur le toit de sa bagnole. Mado se réveille soudain en Enfer. Ce chahut juvénile lui rappelle certaines fins de cours... à moins que ce ne soient ses échecs scolaires qui reviennent la hanter. Les yeux mi-clos, elle démarre. Personne ne s'écarte. Au contraire, la multitude se densifie à mesure qu'elle revient à la réalité.
Des cris, des fanions tricolores, et puis du sang sur le pare-brise.
Madame X. a donc commis un crime. Avec ou sans préméditation ? Difficile d'en juger.
Extrait : (L'Unanimité moins une voix)
DÉBAUCHÉE n. f. : 1. Vulg. Se dit d'une fille qui, vivant du commerce de ses charmes, change à sa guise de protecteur. 2. Mot autrefois en usage pour désigner l'heure de la cessation générale du travail des ouvriers des arsenaux. 3. Abusiv. Employée délaissant les devoirs de sa profession pour le plaisir. 4. Techn. Personne licenciée. (Voir syn. Infidèle, libertine, chômeuse.)
La consigne vient d’en haut : soigner les moments de convivialité. À midi, on bouffe ensemble. Après, on digère les conflits en interne. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Le temps des repas aussi, gastrothérapie oblige. Fini la pause égoïste, les sandwichs au café, bienvenue au réfectoire pour une cure d’intersubjectivité. Un vague sourire, un appel du pied sous la table, même un rot mal étouffé, tout cela peut optimiser le contact relationnel. D’ailleurs, le management nutritionnel n’a rien inventé. On en revient toujours à la Cène primitive - lorsque le Christ, petit patron fils-à-papa, gueuletonnait avec ses directeurs de filiale.
Ici, je me tiens coi vu que, dans mon contrat de travail, je n'ai pas l'usage de la parole. Ils ont acheté mon silence, alors je signe des autographes. A Marne-la-Vallée, je suis l'un des plus connus, employé pour signer six cents fois par jour Pluto avec seulement trois doigts à chaque main.
[À propos d’un homme déguisé en Pluto dans un parc d’attraction]
Maintenant que les camps de travail sont ouverts au public, les comédiens domestiques doivent suer sous leur seconde peau et se taire jusqu’à faire disparaître en eux la trace obscène du labeur. L’attraction moderne a sa loi : si tu veux abolir le prolétariat, donne-le en spectacle.