- Je crois que je me suis fait violer.
Elle est revenue à elle, je m'approche, elle m'entend, j'imagine qu'elle a ouvert les yeux, je pose ma main sur son épaule, elle ne réagit pas, je ne dis rien, je veux juste qu'elle sache que je ne suis pas partie, elle se dégage brusquement, la sensation de ma main lui est insupportable, je suis ce qu'elle refuse, ce qui n'existe pas, je suis ce bébé qu'elle n'a pas mis au monde,elle me hait, ça frémit sous le drap, elle pourrait, elle en rêve, m'étrangler ou m'arracher les yeux, elle pourrait, il faut bien qu'elle se défende, ça l'étouffe, ça l'écrase, ça l'empêche d'être en vie, elle s'agite dans son lit, se tourne de l'autre côté, le drap ne suffit plus à cacher ce qu'elle sent, il faut qu'elle me tourne le dos, encore un peu de temps, me dit-elle en silence, encore un peu pour elle, il faut qu'elle se rassemble, son souffle est régulier, elle ne pleure plus, quelque chose à changé, je le vois malgré le drap qui la cache, ce n'est plus le même corps, je m'assois au bord de son lit, elle l'accepte, je lui dis :
- C'est normal, tu sais, tout ce à quoi tu penses, toute cette colère et cette violence, puisque tu ne savais pas, c'est monstrueux, cette chose que tu n'as pas voulue, comment faire avec ça ?
Et si la vérité était insupportable ? Le silence était-il préférable ? Fallait-il oublier, se taire, faire avec les mensonges ? Louise elle-même n'était pas sûre de ce qu'elle voulait alors, au nom de quoi, moi, je cherchais à éclairer ce qu'il restait dans l'ombre... ?
A quoi sert la vérité si la vérité fait si mal ?
C'est étrange comme je perds la notion du temps . Ça fait quinze jours que je suis ici. Une éternité. Même s'il me semble que je ne suis pas encore tout à fait arrivée. Même si je sais qu'un jour, il me faudra repartir.
Parce que je veux savoir, et un jour je saurai, je me le suis promis, c'est ma seule certitude, c'est tout ce qui me reste.
Je sais que tu as voulu la vie, ça me donne la force de continuer la mienne.
il n'y a pas de coupable. il y a le pire qu'il faut éviter. Une vie sans amour.
"A cause de cette attente que je n’ai pas vécue, à cause du désir qui n’a jamais grandi, de la violence aussi, de savoir qu’il ressemble à son père. Mais ce n’est pas sa faute ! Je sais ça ne change rien."
"Je te souhaite, mon cher ange, la plus belle vie du monde."
Cet enfant est vivant, c'est moi qui l'ai mis au monde, ça, je l'ai accepté, je l'ai vécu, je l'aime mais je ne suis pas sa mère.
Pendant des jours et des nuits, je t'ai regardé vivre, émerveillée. Je n'arrivais plus à te quitter des yeux. J'ai eu l'impression de me nourrir de chacun de tes gestes, du grain de ta peau, si douce, de ton odeur et de ton regard. Comme si toi, si petit, tu parvenais à me contenir tout entière à l'intérieur de toi.
Déni.
C'était ça.
Jamais je n'ai senti avec autant de force le vide que ce mot-là laissait à l'intérieur de moi.
Je sais pas comment ça s'appelle, une intuition, un pressentiment, ce qui est sûr, c'est qu'après, on se met à croire à tout un tas de trucs, le destin, le bon Dieu ou n'importe quoi d'autre qui viendrait expliquer ce sentiment que tout ça était écrit d'avance. Comme si c'était trop dur d'admettre que la vie n'est qu'affaire de hasard.
Je voulais une vie à moi, une vie à inventer, peut-être pas grandiose et pas nécessairement tragique, en tous les cas, j'en avais l'absolue certitude, une vie portes ouvertes pour que rien ne se gâte, pour que rien ne moisisse, sans amertume et sans résignation.