Ici et ailleurs, tome 3 : Où nous nous sommes arrêtés

- Les endroits sûrs sont différents d'une personne à un autre, gamin. Pour certaines personnes, les Daniel désordonnés, c'est quelqu'un qui prendra soin deux, bien sûr. Mais pour d'autres, c'est quelqu'un avec qui ils peuvent exprimer certaines parties de leurs personnalités. Ou toutes les parties de leurs personnalités.

- Comment vas-tu et bonjour ne sont pas intrusifs, connard !

- Comment vas-tu est le canal racinaire de la conversation futile et bonjour devait être abattu, dit-il avant de tourner les talons pour aller s'habiller, emportant son café avec lui.

Sa mère étant dans une sorte de conseil d'administration artistique à but non lucratif, et elle s'habillait comme les femmes qui dirigeaient des galeries que j'avais vues dans des films sur New York : une jupe noire ajustée qui allait jusqu'à mi-mollet au dessus de bottines noires à talons, un pull bleu cobalt, et un collier qui donnait l'impression que Hulk avait arraché un morceau de l'aile d'un avion et l'avait tordu en un cercle puis l'avait posé autour de son cou.

Je parlai à Will de mes cours. Comme mon préféré était ce cours de physique qui me soufflait. Surtout les parties concernant l’astrophysique. La physique était comme une antisèche vers l’univers. Les choses qui autrefois étaient simplement là avaient une explication, leur propre logique à elles. Enfin pas totalement à elles parce qu’elles résonnaient avec d’autres choses et forces à travers l’univers. Je pouvais devenir très excité en parlant de la seconde loi de Newton.
Et tant que je parlais et que Will me prêtait attention, j’avais l’impression que je pouvais faire n’importe quoi. Comme s’il était un verre magnifique réfractant la lumière de tout l’univers sur moi en un faisceau si intense et si chaud que chaque molécule de mon être était illuminée et vue. La menace d’être brûlé vivant était toujours en jeu, mais le risque me semblait en valoir la peine.

J’avais grandi en essayant constamment de me fondre dans la masse à l’école pour qu’ils ne remarquent pas que j’étais gay. En essayant constamment de trouver des points communs avec ma famille afin que j’aie l’impression d’être l’un d’entre eux. Toujours certain que c’était parce que j’étais étrange que je n’avais pas vraiment d’amis à Holiday. Être capable de laisser parler mon esprit et savoir que Will laissait parler le sien… c’était un doux soulagement.
Cela ne signifiait pas que je n’appréciais pas de le taquiner un peu, toutefois. Je me laissai tomber sur le canapé près de Will.
— Tu n’es jamais d’accord avec quiconque, connard.
— Cela ne fait pas de moi un connard si j’écoute vraiment ce que les gens disent et exprime les points où mes pensées divergent au lieu d’ignorer les parties avec lesquelles je ne suis pas d’accord.

— Non, mais allez. Je sais que tu penses que je suis un ultra-romantique ou peu importe, mais admets-le. Tu refuses, genre, catégoriquement de croire que quelque chose puisse être romantique.
Il se retourna brusquement et me regarda, les yeux étrécis.
— Non. Les choses ne sont pas romantiques ou pas romantiques. Ce n’est pas une catégorie définitionnelle. C’est individuel. Et je pense qu’il est plus précis de dire qu’un mensonge est ce qui gâche tout. Je déteste les mensonges.
Ce que je savais. Même les minuscules pieux mensonges que la plupart des gens considéreraient comme de bonnes manières de base n’étaient pas exemptés du courroux de Will.

Et, étant donné à quel point il m’avait blessé, c’était ridicule à quel point je l’aimais encore. Mais aucune de ces blessures n’avait touché ce noyau d’amour.
Mes sentiments pour Will étaient un cœur tendre et nu battant timidement dans une cage de fer, chaque expansion un risque, chaque déflation à la fois un soulagement et une déception.

Comment j’avais fait le travail. Beaucoup de travail, si j’étais honnête. Et ça ne m’avait pas donné ce que je voulais. Ça ne m’avait pas donné Will. Pas une relation monogame avec Will, en tout cas.
Mais la partie au sujet de se soumettre aux choses inattendues que le travail pouvait apporter resta coincée en moi. Will me disant que j’étais son meilleur ami. Me disant que j’étais le premier qu’il avait appelé quand Claire avait eu des ennuis. Que j’étais celui à qui il voulait parler quand de bonnes choses arrivaient. Me montrant qu’il me faisait plus confiance qu’aux autres me laissait entrer plus loin que les autres. Qu’il tenait à moi.
Je me demandais combien d’autres choses comme celles-ci j’avais rejetées ou sous-estimées, trop distrait par le fait que je n’obtenais pas les résultats que j’espérais. Combien de fois des choses importantes, significatives et réelles m’avaient échappé, non reconnues, car je ne mesurais que leur distance par rapport à ce que j’avais voulu.
Il s’agissait de pertes irrécupérables. Mais peut-être que les choses pouvaient être différentes à l’avenir.
Je pouvais être différent.