Alors, devant ce tableau fou et ces cercueils de piles épitaphés qui ressemblaient un peu à l’œuvre d’un dément, j’ai cru mourir d’amour et de mélancolie. Une dernière fois, je l’ai admiré pour son esprit original et si mal compris, pour l’élégante précision de ses idées, pour son entêtement insensé à ne s’être jamais autorisé que ça alors qu’il avait tant d’ampleur et pour m’avoir appris à être sensible à la poésie que dégagent les choses modestes.
Tu seras un enfant du malheur, elle m'a dit. Elle m'a aussi annoncé que je mourrais noyé, c'est pour ça que je n'ai jamais pris un seul bateau et que je me baigne jamais. C'est aussi pour ça que tu te laves le moins possible ? avais-je ironisé. Il avait ri.
Je me trainais donc, sur un sol vacillant, du lit au métro, du métro au bureau et du bureau au canapé en essayant de faire bonne figure dans des habits propres et repassés mais en vrai, j'étais à poil et je crevais de solitude. Je me sentais aussi seule que sur un quai de RER à attendre, dans le vent glacial des correspondances, un train qui n'arriverait pas.
Comment j’avais pu perdre autant de temps dans ma vie à attendre que la route se dégage alors qu’en réalité, elle était là, ouverte, accessible puisque je courais dessus de toute la vitesse dont j’étais capable. Bien sûr, il avait fallu que je m’arrête pour ramasser dans le noir tous les objets tombés dans la bouillasse.
Je voulais prendre le train, retrouver mon boulot de merde dans la fourmilière, ricaner bêtement avec mes trois amis autour d'un bol de cacahuètes, rentrer chez moi et faire comme si de rien n'était.
Pour faire barrage, pour protéger son dos de la nuit et du grand courant d’air, comme il m’avait protégée, à sa façon, du découragement et de la douleur de vivre, les portant à ma place, et, ce faisant, me laissant le loisir de ne pas trop y penser.
Bientôt, je serai seule à me débattre avant tout cela mais, pour l’heure, tout ce qui comptait, c’était de sentir sa chaleur, son odeur et de l’entendre respirer. Encore.
J'ai toujours envié les gens, et j'en connais, capables de se lever et partir sans un mot quand la conversation leur déplait ou qu'ils sont pris au piège d'une situation qu'ils dénoncent.
Elle avait dû perdre beaucoup de gens dans sa vie pour savoir si bien dire au revoir.
A cet instant précis, j'aurais donné n'importe quoi pour un dernier moment comme ça avec lui, à ne rien se dire de spécial en regardant dans le vide.
C'était absurde, tant de gloriole, d'emphase et d'espoir ironique tout de suite après tant de silence et de rien.