Dans une interview,
Anne Pauly dit son désir d'écrire depuis toute petite, c'est en elle, en entrant en master création littéraire, elle décide de présenter comme projet ce roman, elle l'affinera durant 4 ans, surtout lui offrir une fin, pour tourner la page, ayant la faiblesse de pouvoir le terminer. C'est encore un roman sur le deuil, ici d'un père, est-ce autobiographique ! , une fiction pure ! Ou un entremêlement des deux ! Mais est-ce important en soit, il y a toujours une part de soi dans l'écriture.
Ce qui m'a surpris dans ce roman où la mort est l'héroïne, c'est humour qui s'en dégage, c'est le sourire que j'ai eu dans certains passages, ce père Punk dans l'âme et cette désinvolture dans la retraite, laissant sa fille à batailler avec un rat, campant sous le canapé de la maison familiale. Son regard sur les porteurs du cercueil de son père, les assimilant à des zombies et ses petits détails qui constellent ce roman où le deuil devient une solitude face à ce monde qui ne s'arrête pas, le va et vient des infirmières, la circulation, les passants, les rencontres, les amis et leurs mots en trop…
Anne Pauly dans sa manière d'écrire, entremêle, la passé, le présent, les dialogues, la narration, les descriptions et ses humeurs intimes dans une unité prosaïque, il y a une unité dans la forme du roman, il y a juste une coupure, deux parties distinctes, par le temps qui les sépare, la première est la mort et ses conséquences, la deuxième, l'acceptation et pouvoir tourner la page !
Lorsque ce père disparaît, l'héroïne du « je » du roman ou de l'auteur, est avec son grand frère plutôt taciturne, une colère sourde se fige sur lui, le dialogue est peu prolixe, des mots, des silences, c'est deux identités séparés par le fil du temps et du passé de ce père parti, qui de sa mort n'arrive pas à les réunir comme deux personnes d'une même famille noyés dans un chagrin, la narratrice devient isolée de cette distanciation du monde qui l'entoure. Ce passage drôle de la colère de son frère
Jean-François pour l'achat d'un cercueil, fustigeant la société de consommation, remettant à sa place sa soeur.
« Il m'a jeté son fameux regard « dégage » et après un rictus cynique façon « Tu sais qui tu me rappelles, là ? », il a continué d'engueuler le croque-mort et j'ai fermé ma boîte à camembert. »
Même avec ses amis, cette mélancolie l'assaille et elle a toujours ce réflexe de vouloir s'excuser, de les avoir entraîné dans une entorse à leur conviction, elle se laisse submergée par ce deuil qu'elle n'accepte pas.
« Je suis désolée, camarades gauchistes, de vous obliger à fraterniser avec l'ennemi. Mais vous survivrez, n'est-ce pas ? »
Après la messe la narratrice s'isole, retrouvant la petite réunion de deuil autour d'un verre, ces personnes, amis, famille et untel comme des étrangers, tous préoccupés à des discutions futiles comme oubliant la mort de cet homme, l'orpheline reste dans sa solitude, en dehors de ces gens.
« En réalité, amis et connaissances formaient de petits groupes soudés par des discussions étrangement enflammées sur des sujets qui n'avaient rien à voir avec la situation. »
Même pendant la messe, après l'homélie, la drôlerie échappe à l'atmosphère pesante de cette cérémonie où ce père unijambiste et alcoolique enfermé dans ce cercueil de la discorde financière d'un monde capitaliste, laisse son ami, curé de la paroisse s'endormir, donnant un fou rire à l'assemblé, plus particulièrement les amis de cette orpheline, s'apercevant enfin qu'elle ne verra plus son père laissant échapper des larmes sur ce visage de femme ayant perdu son père, ce papa qu'elle ne connait pas.
Dans ce roman
Anne Pauly, donne à son roman une forme de saisie sociétale avec ces marques qu'elle cite comme des noms usuels, un lexique de documentaire, infligeant à ce roman une part moderne de cette littérature considéré pour certain comme roman de fainéantise, par ces mots banaux sans intérêts à ce récit intime du deuil.
Cette intimité du deuil et de ce chemin de croix administratif emportant cette femme dans les méandres de la mort de son père qu'elle ne connait qu'en surface, un alcoolique, colérique, jaloux et livré à sa retraite. Elle perçoit cette face immergée qu'il donne, comme cet accident pour ivresse dans un talus à 73 ans, obligeant sa fille à venir le chercher dans un hôpital, elle repense à lui alcoolisé courant un couteau à la main, autour de la table après sa mère lui éructant, cette jalousie et son côté charitable d'être toujours à la paroisse au cou du curé…
Ce qui a su me plaire dans ce roman, c'est la proximité de cette écriture avec ce que je n'ai pas oublié, le deuil d'un proche et cette inertie sourde qui happe dans le manque de la personne, la frénésie de la vie qui continue de suivre son cycle, comme ces infirmières qui poursuivent leur travail, lorsque le roman vous propulse au-delà de son intrigue pour parler de la vôtre, le roman devient une part de vous, un parent proche.
Anne Pauly parle de ce père mort, avec beaucoup de respect et de nostalgie, extirpant de sa mémoire certaines scènes de lui, ses anecdotes familiales, comme la mort de son père, la prédiction de sa grand-mère, qu'il portait la poisse et qu'il mourrait noyé, car il était né un 13 décembre, devenant un enfant de malheur, creusant un peu plus un sillon d'incertitude dans l'esprit de son père. Puis apparaît sur un carnet une Juliette, une amie de collège de son père, ils s'appréciaient, le fil de la vie les séparant, lui devant ouvrier chez Renault, elle infirmière, se recroisant au fil du temps, se narrant leur passé et présent, une amitié forte scelle ces deux êtres. La quête de sa fille à découvrir son père lui ouvre une porte sur un homme qu'elle ne connaissant pas vraiment, comme dans la plupart des familles, le non-dit, le silence des sentiments, la vie de chacun donne des oeilleres , laissant de côté des êtres chers, comme le disait
Delphine de Vigan dans son roman sur sa mère, Rien de s'oppose à la nuit, l'héroïne d'
Anne Pauly se sent coupable, des cartes postales qu'elle a envoyé à son père lors de ces vacances d'été, les cadeaux achetés à la va vite à la Fnac, tous ces petits détails, l'éloignant de lui inconsciemment.
Le réconfort et les mots sont souvent donnés par un inconnu, comme la lettre donnée de Juliette, qu'elle a contacté pour lui annoncer la mort de son père, une émotion communicante,
Anne Pauly a percé la barrière de mes émotions, cette lettre qui rompt aussi le roman, donne cette tendresse mélancolique chavirant les humeurs, cette tristesse est plutôt de l'amour sincère, Juliette et ce père ont su cristalliser un amour stérile en une amitié impénétrable, un premier amour ne meurt jamais !
Anne Pauly en toile de fond, le mariage pour tous se raconte par la radio, par ses amis, et de son groupe LGBT, où elle est militante, cette héroïne est sa fiancée, Félicie sa petite amoureuse, reste une virgule dans ce roman, elle ne la présente pas comme sa petite amie.
« J'ai présenté Félicie très simplement, par son prénom, sans préciser qu'elle et moi on aimait bien s'envoyer en l'air le samedi après-midi après une grasse mat' et un bon bain. »
« J'ai saisi Félicie par le bras puis lui ai chuchoté : C'est le grand jour, t'es prête ? Nous n'aurions, pensais-je, plus d'autre occasion d'avancer bras dessus, bras dessous dans l'allée centrale d'une église et, d'une certaine façon, c'était bien mon père qui m'accompagnait jusqu'à l'autel. »
Cette phrase de romantisme avec ce mariage pour tous en filigrane, est une petite pirouette amusante, mais aux yeux de l'héroïne une façon que son père l'accompagne dans cet amour et le bénisse dans ce lieu sacrale des hétéro. Et toujours cet humour qu'
Anne Pauly sème dans son roman, et cette façon d'aborder la fin comme une ode fantastique, une irréalité du deuil avec la présence subjective de son père dans une voiture la guidant et l'oiseau adopté par son frère
Jean-François, une jeune pie, comme l'avait fait plus jeune son père.
Anne Pauly avec son roman donne au lecteur cette douleur et ce chemin du deuil comme une lettre ouverte aux morts que l'on rencontre et rencontrera, il n'y a pas de circuit pré-tracé, nous devons faire notre route et accepter ce départ sans l'oublier…