- Pardonne-moi de te couper, mais est-ce que ce n'est pas Proust justement qui a dit " L'homme qui vit n'est pas l'homme qui écrit ..." ?
Ce que les adultes nommaient "interactions sociales" revenait à consacrer son attention à une poignée d'élus pour zapper le reste, trier les hommes pour cohabiter en paix.
Les meilleurs moments de. outre vie étaient ceux où cessait notre monologue intérieur.
Et toujours elle se raccrochait à l’idée qu’elle n’était pas seule, que les autres aussi faisaient semblant, pris dans le tourbillon des buts à atteindre, des missions à accomplir, des engagements à respecter, des délais à tenir, les autres aussi supportaient l’insupportable. Car qui aurait pu se satisfaire de cette vie de cases à cocher ?
La chick lit, ainsi nommée par les professionnels de l'édition- appellation anglo-saxonne d'origine contrôlée pour dire "littérature pour les filles"- avait permis à Emma de payer son loyer pendant de nombreuses années. Depuis peu, les choses avaient évolué, la mode était aux feel-good books pour dire "livres qui font du bien", les couvertures avaient pris des teintes pastel, la fille était en photo de dos sur une plage déserte, les cheveux dans le vent, pensive, le titre restait en lettres anglaises, un repère inchangé. (p. 26)
Dans les jeux vidéo, il y avait un départ et une arrivée mais on pouvait recommencer, on avait droit à plusieurs vies. Pas dans la vie. (p. 39)
Où avait-elle lu que sourire signifiait qu'on ne mordrait pas celui qui se dressait face à nous ? C'était pour cela que montrer les dents et ne pas s'en servir pour attaquer était devenu un salut de paix, un signe de bonté. (p. 172)
Pareil au chercheur d'or, l'enfant se lève chaque matin en croyant à sa bonne étoile, au destin qui guidera sa main vers la pépite miraculeuse, c'est peut-être cela, la véritable différence entre l'enfant et l'adulte , le premier n'a pas perdu espoir. Le foutu réalisme n'a pas d'emprise sur lui, ses rêves valent autant que la vie. (p. 202)
Fin des sit-in pour protester, fin des marches dans la rue en brandissant des pancartes, ils feraient leur révolution assis, en cliquant sur ENTER.
Oui, ils avaient au moins réussi cela. Les autorités avaient immédiatement annoncé enquête et traque des coupables, mais c'était un virus hydre, polymorphe. A moins que les pirates ne se dénoncent eux-mêmes par vantardise ou par étourderie, il n'y avait aucun moyen de remonter, la base était trop nombreuse. Le recrutement se faisait de façon anonyme, par les jeux vidéo, et les gamins à qui on demandait d'aller planter des clefs USB ici et là se rendaient à peine compte de la gravité de leurs actes. De toutes ces petites mains, aucune n'était réellement coupable, ni responsable de rien. Leur hacking était devenu un jeu, une mission, une blague où la frontière entre le réel et le virtuel était gardée très floue, en cela, leur idée avait de l'avenir. Car ce livre croit à la joie, la joie pure de ceux qui, avertis des échecs successifs de la vie réelle, ne se tiennent pas pour battus et, partis par tout autre chemin qu'un chemin raisonnable, parviennent où ils peuvent.
(p. 274)
Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une.
(p. 278)