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Citations sur Rôle de plaisance (7)

Nous tirons également beaucoup de satisfaction de la formule : yaka. Certes, l'invention n'est pas de nous. Il s'agirait d'une contraction magique de la tournure grammaticale : il n'y a qu'à. D'où qu'il vienne, je connais peu de gens assez forts pour mépriser les avantages du yaka. Poli et mis au point au cours des âges, ce yaka est sans doute un des maîtres-mots du génie français ; il a tempéré nos mœurs et guidé notre histoire, résolu maints problèmes domestiques et présidé aux conseils de l'État. Personne, à ma connaissance, n'en fait usage avec autant de maîtrise que le matelot. Il ne craint pas, en effet, d'attaquer les plus gros problèmes au yaka. Si j'expose la nécessité d'un travail important, la coque à gratter, ou si j'évoque un cas dramatique, la rupture du grand mât, Collot réplique d'un yaka et tout le labeur se ratatine au niveau d'un bricolage enfantin. C'est à la fois rassurant et déprimant. / Certains auteurs font remonter le yaka aux origines de la philosophie hindoue ; ce serait la dernière étape du sage avant le nirvana, et c'est un fait que, même sous nos cieux peu favorables aux avachissements sacrés, de yaka en yaka nous pourrions atteindre aux apathies suprêmes. D'autres soutiennent l'hypothèse d'un yaka hellénique. Selon eux, Hercule aurait appris de sa mère Alcmène le fabuleux pouvoir du yaka et chacun de ses douze travaux aurait été accompli à la faveur d'un traitement préalable au yaka. De toute manière, l'efficacité du yaka a été considérablement amoindrie par l'usage vulgaire et, dans certains cas, avili. À nous-mêmes, Collot et moi, il arrive de couper court à tel dialogue animé ou laborieux par cette grossière échappatoire : ‘’Yaka se l'attacher à la portugaise, etc.’’, vous voyez le genre. Et voulez-vous me dire quel maître-mot, quel verbe souverain, nom d'or ou cabballigramme résisterait à de si basses pratiques? D'ailleurs, avec l'expérience, je me fie un peu moins aux yakas du matelot. Arrivés à échéance, la plupart des problèmes résolus à coup de yaka dans l'euphorie du pousse-café prennent leur revanche. Revanche aussitôt contrée, il est vrai, par l'intervention immédiate et spontanée du yavaika, produit naturel du yaka, de telle sorte que ledit problème, coincé entre yaka et yavaika, s'évanouit dans le dérisoire ou se désagrège dans le fictif.
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Les Français comme moi qui sont vraiment dans le mouvement de l'histoire ne laissent pas les mots venus de l'étranger s'invétérer dans la xénophonie; ils vont les attendre au débarcadère pour les dédouaner, les faire marcher au pas et chanter juste. Ils se prévalent de redingote pour affirmer biftec, sandouiche et feribote. Le préjugé de l'authentique est une invention de la cuistrologie aux gages de l'immobilisme. Prenez un mot charmant comme paletot qui vient du XIVe siècle et des Pays-Bas où paltrock signifiait une robe de palais.Les attardés qui en sont encore à basket-ball et rewrighting n'auraient pas lâché paltrock, ils auraient enfilé le paltrock, tel que, pour le transmettre à leurs héritiers,sans retouche; aucune raison après tout pour ne pas maintenir pieusement la chose avec le mot. Les zélateurs du vocable exotique intégral se donnent pour pionniers,ce sont des perroquets, ils se croient dans le progrès, ils piétinent dans la superstition. Aussitôt importé le terme est stérilisé, congelé, confié à la presse et à la radio pour être livré sous cellophane au discours quotidien comme une lettre morte dans la société des mots vivants. Tel se croit dans le train qui n'est en somme qu'un vieux croquignol conservateur de formes désuètes. Ainsi vont maintes avant-gardes, en queue decolonne.
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Comme il fallait s'y attendre avec un nom pareil, le yachting est un gros client du vocabulaire britannique et ses acquisitions sont traitées avec tous les scrupules d'orthographe et, autant que possible, de prononciation. Exemple de sabir club avec attachement maniaque au snobonyme « A bord d'un ketch deux yachtmen viennent s'asseoir dans le cockpit et le skipper, ayant posé son verre de scotch à l'entrée du dog-house, secoue sa dunhil sur le winch et se met à parler rating. » Tel est actuellement l'étendue du mal. Après les substantifs, on prévoit un temps d'arrêt. Un esprit libre, attentif à l'hygiène de sa langue et à l'honneur de son pavillon, aurait commencé par dire : A bord d'un quèche, deux plaisanciers viennent s'asseoir dans la baignoire ou, à la rigueur, dans le coquepit. Écrit de la sorte, coquepit est le bienvenu, aucun scrupule à faire sonner la dentale comme celles de canott et boutt. Vous avez tellement perdu l'habitude de la langue française vivante que vous avez paru surpris, sinon choqué, de voir écrit le mot quèche. Vous estimez que c'est un enfantillage orthographique, une francisation bien arbitraire, un grossier maquillage au bénéfice d'un chauvinisme étroit. Mais pas du tout. Il y a d'abord l'hypothèse d'une récupération licite au cas où, naguère, les Anglais nous eussent fauché le mot pour l'habiller à la saxonne. Il y a des précédents.
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— O capitaine graillonneux et radoteur! vous raisonnez en gardien de cimetière. Vous faites de la plaisance archéologique. La tradition n'est pas un reliquaire. Vous traitez la voile comme un accessoire d'exhibition folklorique, vous naviguez sur un bateau fossile.
—Parfaitement. Et les capitaines cœlacanthes ne laisseront pas tomber les nageoires de leur pères pour s'équiper de papattes utilitaires et trotter bêtement dans les traces du lézard sur les sables sec du progrès. Les petits bateaux n'ont pas de jambes et nous continuerons de témoigner pour l'âge d'or de la plaisance carbonifère.
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Estimer une mer à son juste poids de malveillance requiert beaucoup de métier, bien plus de leçons que nous ne pourrions en essuyer. Il y a des cas où elle nous paraît maussade alors qu'elle est déjà vicieuse, mais le plus souvent elle nous paraît méchante alors qu'elle n'est qu'un peu nerveuse et en fin de compte, nous ne savons trop à quel moment nous avons le droit de dire : voici le gros temps. Nous craignons d'agacer la mémoire des anciens.
Ces scrupules nous honorent, mais je pense qu'après des millénaires de navigation les marins discutent encore de la hauteur des vagues.
D'aucuns, utilisant des procédés de calcul éhontés, nous feraient même croire que les fameuses vagues hautes comme des montagnes, ça n'existe pas. Autant dire que Chateaubriand a menti. Mais ils ont tort. La lame qui les emportera sera bien plus haute qu'une montagne...
(extrait du chapitre VIII "le nez du matelot")
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- Entièrement d'accord, capitaine, mais ne faut-il pas respecter la morale des anciens ?
- ? ? ?
- Au sortir de la cape, à ras bord le hanap.
Rien à dire à cela, sauf que l'authenticité du distique me semblait suspecte ; mais comment le prouver ? Ce n'était pas la première fois que le matelot me balançait des dictons à l'appui de ses débordements. Il a dû comprendre que je ne suis pas insensible à l'autorité de la rime qui donne à n'importe quelle ânerie l'accent des vérités éternelles. En réalité je me demande si, pendant les quarts de nuit, Collot ne forge pas laborieusement de faux proverbes millénaires pour me soutirer des ponches indus. Je riposte :
- Cassée la balancine, adieu la chopine.
Il réplique :
- A douleur de gréement, bon tafia jamais ne ment.
Je me concentre une minute et je rétorque :
- Jusqu'à Santander ne remplis ton verre.
- Imprudence  ! Il n'est bon vin qui ne se pique en mer cantabrique.
- Pardon : A matelot ivrogne, adieu la Corogne.
Sans doute arrivé au bout de son répertoire, Collot réfléchit comme un forcené, puis :
- Sornettes que tout cela, s'écrie-t-il, tant il est vrai que jamais rhum de capitaine n'a saoulé de baleine.
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Moi aussi j'aime assez manier la ficelle, je peux m'acharner longtemps à résoudre un passage vicieux et ma bonne façon d'une épissure me flatte, mais je dois convenir que le matelot s'y donne plus complètement et d'un amour plus constant. Il sert la grande et noble cause du cordage avec toute la ferveur d'un vieil apprenti. C'est le beau zèle des vocations tardives. Tout travail un peu difficile, comme une cosse d'aussière, lui est dû, et non disputé. Plus rien n'existe alors ; il me laissera une rebutante corvée d'écopage ou de vaisselle pour aller s'asseoir en un lieu commode avec la bonne conscience et l'autorité du tiraucul à caution honorable. Immunisé dans sa planque magistrale, il peut sans pudeur tirer la bouteille à portée de sa main ; rien à dire, la manipulation de ces fibres sacrées donne grand-soif quand on y apporte un tel idéal de perfection.
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