Je suis né dans une mansarde
d'où l'on entendait le matin
des laitiers qui drelin drelin
réveillaient les biberonneuses.
Ici naquit Georges Machin
qui pendant sa vie ne fut rien
et qui continue Il aura
su tromper son monde en donnant
quelques fugitives promesses
mais il lui manquait c'est certain
de quoi faire qu'on le conserve
en boîte d'immortalité.
Prendre l'air était son métier.
[Extrait de "Une vie ordinaire", p 680]
Les mots sont des masques que le poète ajuste sur les mille et un visages de la réalité pour qu'elle aille faire la fête sans risque d'être reconnue - et par suite bafouée - par ceux qui s'en croient propriétaires.
Oui, je m'aperçois qu'il est souvent question d'amour dans ces notes. Cela ne m'étonne pas. Ce qui m'étonne, c'est qu'il n'en soit pas toujours question. A m'écouter vivre, il me semble que c'est mon seul sujet, mon seul embarras, ma seule terreur. Et peut-être mon seul dépit.
[Notes pour une préface aux "Papiers Collés", p 392]
On met du temps pour comprendre que juger un individu, une oeuvre, etc, c'est se vanter soi-même, c'est se donner du poids.
Notes 1, 1953, p. 195
La vie, c'est par moments.
(textes posthumes, p. 1339)
Ecrire transfigure la vie. Mais ne la change pas.
p. 651
Site. Pointe du Raz.
Il est bien sûr tentant de penser que la terre finit là, en beauté. Lieu quasiment inhabitable, en raison même de sa beauté qui tire tous ses efforts d'une combinaison de lumière et d'épouvante. L'été, on y vient - l'hiver, on y va. L'été, des guides vous font visiter le lieu, qui n'en demande naturellement pas tant, puisqu'il n'y a rien à montrer, les effrayantes trouées. L'hiver, par grand vent, par tempête, il est comme un bateau accroché à la terre, au continent.
La terre avait du mal à s'emmerrer il y a une complicité, un pacte. La mer toile de fond mortuaire. La mer qui n'a pas semblance d'usure, alors que les hommes passent très fatigués de se recommencer dans le même contexte, entre ces deux pinces, naissance et mort.
[Carnet 1968, p 784-785]
Le vent est loquace, comme tous les solitaires.
Se donner le gant de lire autrui, de savoir le lire, c'est s'interdire toute innocence. Sale métier, qui finit par ruiner - mentalement - son homme. Motus là-dessus. Mais les meilleurs lecteurs sont ceux qui ont renoncé à toute ambition d'écrire.
p. 915
L'intelligence tue, me dit-il.
Encore un immortel.
p. 918