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Critique de Lamifranz


Alexis Léger, dit Saint-John-Perse (1887-1975) est un poète français. Si, si. Pas des plus connus, sans doute, mais des plus mal connus à coup sûr. Il faut dire qu'il n'a pas la réputation d'un poète « facile » : comme René Char, il est d'un hermétisme qui peut a priori en décourager plus d'un et à faire fuir plus d'une (ou le contraire).
« Ils m'ont appelé l'Obscur, et mon propos était de mer ».
Avouez que, comme présentation, on a connu plus glamour.
Mais comme René Char, et par certains côtés même, mieux que René Char, il mérite notre attention : il y a chez Saint-John-Perse un rythme, une cadence, imprimées certes par une imagination puissante et évocatrice mais aussi, et peut-être surtout, par le choix d'un style poétique particulier, qui colle à merveille à son propos : Saint-John-Perse utilise le verset. Non pas par référence aux versets bibliques ou coraniques, de longueur inégales, et aux intentions incantatoires (encore que), mais plutôt parce que ce type de vers, ample et délié, permet de faire une phrase longue, bien balancée, où l'auteur peut à son gré placer ses graves et ses aigus, et imprimer le rythme qu'il souhaite :
« Et c'est un chant de mer comme il n'en fut jamais chanté, et c'est la Mer en nous qui nous le chantera :
La mer en nous portée, jusqu'à la satiété du souffle, et la péroraison du souffle,
La mer en nous, portant son bruit soyeux du large et toute sa grande fraîcheur d'aubaine par le monde ».

L'inspiration, il la cherche en lui-même, comme la plupart des poètes, au travers de sa propre expérience et en rapport avec le monde qui l'entoure. Jusque-là ce n'est pas très original. Mais il semble que Saint-John-Perse ait une connexion particulière avec les éléments, particulièrement l'eau et l'air. Son origine antillaise y est sans doute pour quelque chose (il est né en Guadeloupe), et sa carrière de diplomate qui lui a fait sillonner la Terre en bateau et en avion, a dû nourrir ce goût pour l'espace marin et l'espace aérien qui parcourt toute son oeuvre.

« Amers » est un recueil de 1957, où cet élément marin évidemment, tient la première place. le titre, à lui seul, est une énigme : « amer » est le nom qu'on donne à ces balises qui signalent aux bateaux l'entrée dans les ports. Mais il s'agit peut-être de l'adjectif qui pourrait correspondre à un état d'esprit particulier, ou encore un jeu de mots « à mer », ou même « à mère », dans la mesure où la mer est aussi la mère universelle d'où vient toute vie… le poète laisse s'épaissir le mystère autour de ce titre, et il a bien raison.

Bien sûr, il y a cet hermétisme, ces mots parfois techniques qui déstabilisent le lecteur… Mais comme le soulignait Breton, Saint-John-Perse, est un « surréaliste éloigné », ce qui lui confère sa propre logique poétique, qui consiste à éveiller la sensibilité du lecteur, en lâchant toute bride à l'imagination. Car c'est là un des atouts de Saint-John-Perse : la puissance d'évocation qui n'est pas loin de ressembler par moments, mais de façon plus maîtrisée, aux « Chants de Maldoror » De Lautréamont : comparez « Vieil océan… » avec les poèmes de ce recueil, vous y trouverez une filiation évidente.
Lisez Saint-John-Perse. Lentement, plusieurs fois, pour bien vous en imprégner, et surtout à voix haute pour bien en sentir le balancement peut-être déclamatoire, presque incantatoire, mais somme toute magique.
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