Vassili Peskov est né en 1930 à Orlov. Il fut grand reporter à Komsomolskava Pravda. Outre ses interviews, on lui doit des livres sur la faune du monde et d'étonnantes histoires sibériennes.
Ermites dans la taïga est paru en 1992.
En 1978, un petit groupe de géologues découvre une famille vivant au coeur de la Sibérie, à 250 kilomètres de toute présence humaine, depuis 1938. Les Lykov vivent en autarcie totale sous la tutelle du père. Karp déjà âgé qui a perdu sa femme quelques années plus tôt et ses enfants, Savvine l'aîné et Dmitri pour les fils, Natalia et Agafia la cadette pour les filles. Leur choix de vie a des origines religieuses, un schisme remontant à Pierre 1er, où les orthodoxes vieux-croyants se sont séparés de l'Église orthodoxe russe en refusant les réformes introduites par le patriarche Nikon en 1653. Les Lykov s'inscrivant dans la tradition des vieux-croyants défendent la théorie selon laquelle leur salut résiderait dans l'ermitage.
Ce fait divers parviendra à la connaissance du journaliste
Vassili Peskov en 1982, immédiatement il se passionne pour l'affaire et se rend sur les lieux. Après plusieurs décès consécutifs, ne subsistent plus que le père, 80 ans, et sa fille Agafia, 39 ans. Pendant neuf ans, l'été seule saison permettant l'expédition, il se rendra régulièrement dans l'isba isolée, accompagné par deux membres de l'équipe de géologue. Entre ces hommes modernes et cette famille vivant dans le passé, une amitié va naître.
Tout comme le journaliste, le lecteur est tout de suite conquis par ces deux ermites dont la gentillesse et la générosité transpirent dans leurs faits et gestes. Si vous êtes habitué aux récits d'explorateurs, vous connaissez cette vérité universelle, tous les peuples vivant dans l'extrême dénuement n'hésitent pas à fournir le gîte et le couvert à leurs visiteurs ; Agafia aura toujours une pomme de terre bien chaude à offrir à ses nouveaux amis.
Quand on vit dans une isba au coeur de la Sibérie où les températures peuvent tomber à – 40° et la neige tout ensevelir, vous imaginez que la vie n'est pas simple mais quand en plus viennent s'y ajouter des contraintes religieuses (pas d'armes, ne manger que des animaux à sabots etc.) seule la foi peut vous aider à survivre. Je n'entre pas dans les détails trop nombreux sur la manière dont vivent Karp et Agafia, ils seront source d'étonnement quand vous lirez l'ouvrage et ne sont que la face visible de l'iceberg. le plus important est ailleurs.
Ce livre est magnifique grâce à Agafia. Sa gentillesse naturelle, sa curiosité intellectuelle, la poussent vers ce monde dont les portes s'entrouvrent devant ses yeux émerveillés ; elle aura même le courage, un temps, d'y faire une incursion, découvrant trains, voitures, hélicoptère, maisons chauffées etc. Mais quand son père décèdera à son tour et que désormais seule, de toutes parts on lui proposera de l'héberger à ses conditions, elle refusera, prisonnière de ses croyances religieuses et de son mode de vie, préférant retourner vivre dans son isba.
Un récit réellement superbe, pour son aspect vie solitaire dans la nature dont les images m'ont évoqué Derzou Ouzala le film de Kurosawa (1975), mais surtout pour cet inoubliable portrait d'Agafia qui évolue avec le temps, mûrissant mais défendant jusqu'au bout ses valeurs qui en font « sa force et sa tragédie ».