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Citations sur Le livre de l'intranquillité (816)

Quand je mets de côté mes artifices et range dans un coin, avec un soin amoureux et l'envie de les embrasser, mes jouets à moi - mots, images ou phrases -, alors je me sens si petit, si inoffensif et si seul, perdu dans une pièce immense, et si triste, si profondément triste !
En fin de compte, qui suis-je, lorsque je ne joue pas ? Un pauvre orphelin abandonné dans les rues des Sensations, grelottant de froid aux coins venteux de la Réalité, obligé de dormir sur les marches de la Tristesse et de mendier le pain de l'Imaginaire.
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Je n'ai jamais rien fait que rêver. Cela, et seulement cela, a toujours été le sens de ma vie. Je n'ai jamais eu d'autre souci véritable que celui de ma vie intérieure. Les plus grands chagrins de mon existence se sont estompés dès lors que j'ai pu, ouvrant la fenêtre qui donne sur moi-même, m'oublier en contemplant son perpétuel mouvement.
Je n'ai jamais voulu être rien d'autre qu'un rêveur. Si on me parlait de vivre, j'écoutais à peine. J'ai toujours appartenu à ce qui n'est pas là où je me trouve, et à ce que je n'ai jamais pu être.
(...) Je n'ai jamais demandé à la vie que de m'effleurer, sans que je la sente passer. (...)
Cette manie de me créer un monde factice ne m'a jamais quitté, et ne me quittera que le jour de ma mort. Je n'aligne plus, aujourd'hui, au fond de mes tiroirs, de bobines de fils aux tons multicolores, ou de pièces de jeu d'échecs - où parfois se détachaient un fou ou un cavalier -, mais je le regrette... et ce que j'aligne maintenant dans mon imagination, tout à mon aise, comme on se chauffe en hiver au coin de la cheminée, ce sont des créatures qui habitent, de façon constante et parfaitement vivante, ma vie intérieure. J'ai tout un monde d'amis au fond de moi, dotés d'existences personnelles, réelles, bien définies et imparfaites.
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Je ne sais quelle caresse imprécise, d'autant plus douce de n'être pas caresse, la brise incertaine, en cette fin de jour, vient poser sur mon front et ma réflexion. Je sais seulement que l'ennui dont je souffre s'ajuste mieux à mon être, pour un instant, tel un vêtement qui cesse de frotter une plaie.
Malheureuse la sensibilité qui dépend d'un léger mouvement de l'air pour parvenir à l’apaisement, même éphémère ! Mais il en est ainsi de la sensibilité de tout humain, et je ne crois pas que l'argent soudain gagné, ou le sourire soudain reçu, pèsent d'un plus grand poids dans la balance de chaque être ; ils représentent pour les autres ce qu'a été pour moi, en cet instant, le bref passage d'une brise vite interrompue.
Je peux songer à dormir. Je peux rêver à rêver. Je vois plus clairement l'objectivité de tout. J'use plus confortablement du sentiment extérieur de la vie. Et tout cela, en fait, parce que presque parvenu au coin de la rue, le souffle de la brise s'est brusquement retourné pour venir caresser la surface de ma peau.
Tout ce que nous aimons, tout ce que nous perdons - choses, êtres, significations -, frôle ainsi notre peau et pénètre ainsi jusqu'à notre âme ; et ce bref épisode, au sein de Dieu, n'est jamais qu'un peu de brise qui ne m'a rien apporté d'autre qu'un apaisement imaginaire, le moment propice, et la faculté de pouvoir tout perdre, splendidement.
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Je promène ainsi lentement mon inconscience inconsciente, sur mon tronc d'arbre de la vie ordinaire. Ainsi vais-je promenant mon destin, qui avance, puisque moi je n'avance pas ; mon temps qui poursuit sa marche, puisque moi je ne le fais pas. Rien ne me sauve de la monotonie que ces brefs commentaires que je lui consacre. Je me contente du fait que ma cellule possède des vitres au-dedans de ses grilles - et j'écris sur les vitres, sur la poussière du nécessaire, j'écris mon nom en lettres majuscules, signature quotidienne de ma comptabilité avec la mort.
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Être pressé, c’est croire que l’on passe devant ses jambes.
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Il est noble d'être timide, glorieux de ne point savoir agir, grand de n'être pas doué pour vivre.
Seul l'Ennui, qui est distanciation, et l'Art, qui est dédain, dorent d'un semblant de satisfaction notre vie.
Ces feux follets qu'engendre notre pourriture sont, du moins, une lumière au milieu de nos ténèbres.
Seule la tristesse nous élève, et l'ennui, qui macère en son sein, est héraldique, à l'instar des descendants de lointains héros.
Je suis un puits d'actions qui n'ont même pas été ébauchées au fond de moi, de mots que je ne pensais même pas tout en arrondissant les lèvres, de rêves que j'ai oublié de rêver jusqu'au bout.
Je suis les ruines d'un édifice qui n'a jamais été que ses propres ruines, et dont quelqu'un, au beau milieu de sa construction, s'est lassé de penser qu'il voulait le construire.
N'oublions jamais de détester ceux qui jouissent, simplement parce qu'ils jouissent, de mépriser les gens gais, parce que nous ne savons pas, nous, partager leur gaieté... Ce dédain factice, cette haine de médiocre ne sont que le piédestal grossier, souillé de la terre où il s'élève, sur lequel se dresse, unique et altière, la statue de notre Ennui, figure sombre dont la face se nimbe, en secret, d'un sourire impénétrable.
Bienheureux ceux qui ne confient leur vie à personne.
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Tout le mal du romantisme provient de la confusion entre ce qui nous est nécessaire et ce que nous désirons. Nous avons tous besoin des choses indispensables à la vie, à son maintien et à sa continuité ; et nous désirons tous une vie plus parfaite, un bonheur total, la réalisation de nos rêves...
Il est humain de vouloir ce qui nous est nécessaire, et il est humain aussi de désirer, non ce qui nous est nécessaire, mais ce que nous trouvons désirable. Ce qui est maladif, c'est de désirer avec la même intensité le nécessaire et le désirable, et de souffrir de notre manque de perfection comme on souffrirait du manque de pain. Le mal romantique, le voilà : c'est vouloir la lune tout comme s'il existait un moyen de l'obtenir.
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Mon isolement m'a façonné à son image et à sa ressemblance. La présence d'une autre personne - même d'une seule - entrave aussitôt ma pensée et, tandis que pour un homme normal le contact avec autrui est un stimulant pour son expression et son discours, ce contact, chez moi, est un antistimulant - si toutefois ce mot forgé de toute pièce est jugé recevable par la langue. Je suis tout à fait capable, en tête à tête avec moi-même, d'imaginer d'innombrables traits d'esprit, de promptes réparties à des phrases que personne n'a prononcées, fulguration d'une sociabilité intelligente sans personne à la ronde ; mais tout cela s'évanouit dès que je me trouve en présence d'une personne physique ; je perds toute intelligence, je ne peux plus dire un mot et, en moins d'une petite heure, je tombe de sommeil. Oui, parler avec les gens me donne envie de dormir. Seuls mes amis imaginaires, appartenant à un monde spectral, seuls les entretiens se déroulant en rêve possèdent pour moi une réalité véritable et un juste relief, et l'esprit se trouve aussi présent en eux qu'une image dans un miroir.
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Il y a, dans les yeux humains, une chose terrible : l'annonce inévitable de la conscience, le cri clandestin qui témoigne qu'il y a là une âme.
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C'était un jour de congé assez vague, officiel mais guerre respecté. Travail et repos voisinaient, et je n'avais rien à faire. Je m'étais levé tôt, et je trainais pour me préparer à exister. Je marchais de long en large dans ma chambre, et rêvais tout haut à des choses décousues autant qu'irréalisables - des démarches que j'avais négligé d'effectuer, des ambitions impossibles mais réalisées fortuitement, de longues et substantielles conversations, qui l'auraient été, en effet, si seulement elles avaient eu lieu. Et dans cette songerie sans calme ni grandeur, dans cette flânerie sans but ni espoir, mes pas usaient cette matinée de liberté, et mes phrases prononcées tout haut à voix basse résonnaient, en se multipliant, dans ce simple cloître de mon isolement.
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