Je serai le premier chauve de la famille, pensa Gabriel, effondré.
Sous le mot enrobé, il écrivit chauve.
Après brève réflexion, il raya chauve, et chercha le mot juste. Car enfin, chauve semblait prématuré.
Flûte, quoi.
D’une main encore plus assurée que pour noter enrobé, il traça sous le chauve biffé les mots : chauve débutant. Qu’il raya avec un sourire de triomphe. Il avait trouvé.
Légère amorce de calvitie.
Ça, c’était parfait. Tout dans la nuance, donc plus près de la réalité. Gabriel aimait la nuance. Les gens enclins à tout mesurer en termes radicaux lui foutaient une trouille noire.
Bien des choses se passeraient par la suite dans la vie de Ludo : pour les moindres d’entre elles un dépucelage attendu dans la plus grande fébrilité, un déménagement loin de la ville, et le plus bouleversant, un poil plus tard : la venue au monde de Gianna, sa sœur.
Mais aucun de ces évènements - pourtant majeurs - ne provoqueraient chez lui, souvenir compris, le même état de surprise confinant à l’hébétude que ce qui se déroula cet après-midi-là dans la rue Emile Zola, sur le trottoir côté lycée.
Joëlle Pétillot présente son roman "La belle ogresse", novembre 2011.