Ce livre richement illustré se déguste comme un menu de bénichon, l'eau (de vie de poire à botzi) à la bouche, en respirant avec délices le fumet du jambon de la borne et de la soupe aux choux et en croquant à pleines dents cuquettes, bricelets et tartines de moutarde de bénichon sur de la cuchaule légèrement safranée. La bénichon, c'est d'abord une fête de la campagne, de la paysannerie, des travaux qui se terminent, des familles qui se retrouvent, des enfants qui se balancent, des ménagères qui poutzent et des jeunes gens qui fréquentent. Cette fête a ses débordements, bien sûr, et les hypocrites autorités politiques et religieuses sont parfois gênées aux entournures : le tango, comme danse, quand même, c'est un peu trop sensuel, non? et la danse d'ailleurs, ça pervertit la jeunesse, non? Que faire? Interdire? Envoyer la police déloger les danseurs? On essaie et ça donne, à Estavayer en 1889, la bénichon des gendarmes : à la place des valses et des polkas, la baston! Les bonnes vieilles traditions ne sont pas mortes. La bénichon se conjugue au pluriel. Elle se fête à peu près n'importe quand, de carnaval (à Broc) à la Saint-Sylvestre dans le village éponyme. Elle varie ses menus (qui ne sont jamais menus). Elle monte ses ponts de danse ou ses carrousels, elle met en branle ses cortèges ou ses tournées du char, elle se balade en tracteur ou en charrette. Mais ce pluriel a ses limites. Tout le monde vous le dira : la vraie bénichon, c'est la mienne, celle de mon village, celle de ma famille, tout le reste n'est que garniture. En fermant le livre, tout en me disant que c'est bientôt la bénichon, je ne peux que regretter que celle-ci n'ait plus lieu dans l'endroit où seule elle a vraiment du sens : aux Arbognes.
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