Citations sur L'écharpe mauve (10)
Il n’était pas habitué à vivre en solitaire, à l’écart de ses semblables. Il aimait faire partager ses joies, échanger des idées aussi. Dès que furent passés les premiers jours de repos, de détente, il ressentit de nouveau cet accablement qui l’avait poussé à fuir Paris.
Le soir, sur son balcon, il regardait tristement la nuit tomber. Le soleil s’enfonçait lentement dans le lac en y laissant une traînée sanglante.
Le charme et la beauté de toutes ces choses entrevues lui faisaient pressentir une vie nouvelle. Tout recommençait. Il fit sa toilette et il s’étonna de sentir la curiosité naître en lui, une sorte d’énergie dont il avait oublié la puissance. Il respirait mieux, la vie devenait presque possible.
Il avait besoin de changer d’air, besoin de réfléchir, besoin d’y voir clair. Pour lui, le vent avait tourné, il s’agissait de faire face. L’état de découragement dans lequel il se trouvait n’était plus tolérable, il devait retrouver le calme, la gaieté, un intérêt pour quelque chose ou pour quelqu’un. Sinon, ce serait à désespérer et la mort lui paraissait préférable au morne découragement qui l’accablait.
Rompre avec le passé, oublier tout ce qui, jusque-là, avait été sa vie. Il ne pouvait plus supporter ce qui lui rappelait ces jours heureux où tout lui était donné.
Il se sentait un cœur de glace, un cœur que rien ni personne ne pouvait plus attendrir. Tout entier tourné vers lui-même, le reste de l’humanité lui était indifférent. Il ne voyait plus devant lui qu’une immense barrière épineuse où son cœur à vif viendrait sans cesse se griffer. Comme il regrettait sa jeunesse valide, son insouciance, sa légèreté ! Quelle torture que cette jambe raide et déformée !
Le caractère problématique, que la vie prenait désormais à ses yeux provoquait en lui un état de fatigue intense et de profonde inquiétude. Il ne savait pas s’il l’aimait vraiment, il n’y avait jamais pensé et, de toute façon, il renonçait à elle. Le plus difficile était de le lui faire admettre.
On peut faire du théâtre et se marier et avoir des enfants, mener une vie normale en somme. Il y a des exemples, si tu veux que je te les cite, tiens, les Pitoëf.
Le métier est comme ça, c’est une lutte continuelle. Il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers, mais s’imposer et ce n’est pas facile. Il suffit de rater quelque chose pour retomber à zéro.
Il aimait se montrer bon prince et généreux, affectant de dédaigner la gloire. Mais, dans le fond de lui-même, il reconnaissait que cela lui était facile puisqu’il réussissait sans se donner beaucoup de peine.
Devant lui, l’œil de la caméra, les micros des radios, que les journalistes tendaient à bout de bras et les photographes qui se bousculaient lui donnaient une idée de ce qu’allait être sa vie de vedette. Car il serait une vedette, personne n’en doutait.
C’était leur carrière qui se jouait en cet instant, leur vie entière. Certes, le fait de rater un prix à la sortie du Conservatoire n’a jamais empêché un artiste de talent de faire une belle carrière. On cite toujours le cas de Blier ou de Belmondo et d’autres encore. Mais le Prix, le premier, reste un tremplin incomparable. Et puis il ouvre les portes de la Comédie-Française. C’est ce que se répétaient ces garçons et ces filles, qui, pour l’instant, ne pensaient qu’à jouer Marivaux, Molière ou Racine.