Je le constatais sans amertume, l’amour n’étant pas ma préoccupation majeure. Pourtant, je n’étais pas plus mal qu’une autre, ni trop grande ni trop petite, ni trop grosse ni trop maigre, un visage aux traits réguliers, sans beaucoup de caractère peut-être, mais auréolée d’une merveilleuse chevelure. Je peux le dire sans vanité, tout le monde était d’accord là-dessus, mes cheveux étaient superbes, opulents, d’une chaude teinte mordorée qui faisait ma fierté. Malgré cette exceptionnelle parure, jusqu’ici aucun homme n’était tombé amoureux de moi.
Ce garçon me surprenait par un comportement bizarre. Il semblait manquer d’équilibre, passant brutalement de la joie à la tristesse, de l’abattement à la vitalité. Je le plaignais sans bien savoir pourquoi. Je me souvenais aussi de la façon dont il me regardait à l’aérogare, alors qu’il ne me connaissait pas encore, sa hardiesse à ce moment-là, son insistance. Tout cela me troublait. Il me considérait toujours, ému ; il avait de beaux yeux verts tachetés d’or, un visage sensible.
Une centaine d’années, mais le portrait est là. La légende raconte que tous les nettoyages du monde n’ont pu l’effacer. Car s’il est considéré maintenant comme une précieuse œuvre d’art il n’en fut pas de même autrefois où le patron du saloon essaya, par tous les moyens, de faire disparaître cette tête de femme. Ce fut en vain.
David posa la bouteille de whisky près de lui, et dès que son verre était vide, il le remplissait. Je l’observais, car je venais de découvrir dans un coin, des boîtes de bière et des bouteilles de whisky vides. C’était pour moi une nouvelle angoisse que de redouter ce penchant qu’il semblait avoir pour l’alcool.
Tous les regards convergeaient vers moi et ce fut un moment affreux où j’aurais voulu que le sol s’entrouvre sous mes pieds pour m’engloutir.