Chaque fois que j’achève l’écriture d’un roman, je suis une personne différente, car j’écris mes livres pour me déplacer, pour me changer. Je ne crois pas que les adultes soient figés ou devraient l’être, je ne crois pas qu’ils soient davantage imperméables aux histoires que racontent les livres. La responsabilité des écrivain·e·s est la même, quels que soient ceux à qui ils s’adressent, et personnellement, je me refuse à risquer de participer à renforcer notre accablement, notre immobilisme ou notre fatalisme. Alors j’écris mes livres en conséquence et j’essaie de suivre la route d’Emily Dickinson qui disait : « J’habite la demeure du possible ; elle a plus de portes et de fenêtres que la demeure de la raison. »
[Les fins heureuses] sont les poils à gratter de nos existences. Malgré leur apparence de fruits sucrés et juteux, elles refusent de nous laisser en paix avec nos petits arrangements quotidiens.
Pourquoi trouve-t-on du réconfort dans la médiocrité de la vie de personnages censés nous inspirer ? Sans doute parce qu'ils nous permettent de justifier nos propres renoncements.
Offrir une fin heureuse à un personnage malheureux, c'est faire acte de désobéissance. On affirme haut et fort une morale de la contradiction. Et en imaginant une alternative, on aide à la rendre possible dans le monde réel. L'imagination est la première forme d'action politique.
Je crois que c'est un acte profondément conservateur que de prendre la décision de faire échouer un personnage qui se bat pour son destin, ses idées, sa vie ou sa liberté. Lorsqu'on décide d'anéantir les efforts et les espoirs d'un personnage pour le conduire à l'échec, on fait un choix réactionnaire : celui de la norme et de la fatalité.
Porter un regard optimiste sur la vie est un effort, une incessante nage à contre-courant, tandis que le pessimisme, c'est le canoë qui file sur le fleuve, glisse sur l'eau sans effort.
Une fin heureuse n'est pas une fin où tout se résout, c'est une fin qui ouvre une porte vers le possible, c'est l'esquisse d'un futur.
Si le roman ne nous offre pas d'autre alternative, s'il ne nous invite pas à bouleverser le réel, comment trouverons-nous la force de le faire ?
Je considère qu'on ne peut pas se permettre de briser des ados qui doutent et des enfants qui espèrent, parce qu'en lisant nos livres, ils nous offrent leur vulnérabilité et leur confiance. Il ne s'agit pas d'être béat d'optimisme, mais simplement de ne pas leur mettre la tête sous l'eau.
« La médiocrité est comme un vieux fauteuil défoncé duquel on n’arrive pas à se lever. Il nous fait mal au dos. Il est rempli de puces de lit, mais il est ce qu’on a de plus familier. »