"Je ne sais même pas pourquoi je viens souffrir ici.
Ce bordel institutionnel qui met l'amour en pièces.
Ici, on n'est rien pour personnes.
Je ne suis rien pour lui.
Je vais aux toilettes finir la coke."
L'homme que j'aimais est mort il y a trois mois. Tant que bien que mal, avant j'aimais la vie, parce qu'on l'avait en commun. Avant j'aimais la vie, même sachant tout ce que je savais, car dans l'immensité du vide il était là qui souriait.
"Je suis une artiste, et mon oeuvre, c'est moi."
L'amour c'est tout ce qu'on a trouvé pour aliéner la déprime post-coïtum,pour justifier la fornication, pour consolider l'orgasme. C'est la quintessence du Beau, du Bien, du Vrai, qui refaçonne votre sale gueule, qui sublime votre existence mesquine.
Nous avons inventé la lumière pour nier l'obscurité. Nous avons mis les étoiles dans le ciel, nous avons planté des réverbères tous les deux mètres dans les rues. Et des lampes dans nos maisons. Éteignez les étoiles et contemplez le ciel. Que voyez-vous ? Rien. Vous êtes en face de l'infini que votre esprit limité ne peut pas concevoir et vous ne voyez plus rien. Et cela vous angoisse. C'est angoissant d'être en face de l'infini. Rassurez-vous; vos yeux s'arrêteront toujours sur les étoiles qui obstruent leur vision et n'iront pas plus loin. Aussi ignorez-vous le vide qu'elles dissimulent. Éteignez la lumière et ouvrez grands les yeux. Vous ne voyez rien. Que l'obscurité, que vous percevez plutôt que vous ne la voyez. L'obscurité n'est pas hors de vous, l'obscurité est en vous.
Nous ne respectons rien ni personne, pas même nous-mêmes et nous nous sentons doués d'un pouvoir unique; débarrassés à jamais du joug de l'interdit.
J'ignore tout de ce désespoir hurlant contre lequel je ne peux rien.
Chloé raconte à Sybylle qu'en courant après un taxi avenue gabriel, elle a failli casser son talon et Sybylle et moi demandons, angoissées: " le talon de tes Gucci ? "Mais elle rétorque avec impatience :mais non, le talon de mon pied, et nous hochons la tête rassurées...
Ces notes lancinantes qui troublent l'aube et le silence, c'est bien notre histoire avortée, de rires oubliés, de sentiments non dits, le regret de sentir que tout est fini, et qu'on n'y peut plus rien.
J'avais dix-sept ans à ce moment là, quand j'ai compris que la souffrance n'était pas un moyen d'échapper à la platitude, d'accéder au sublime.
Pourtant, ce n'est pas cette épreuve et la douleur qu'elle me causa et me cause encore qui ont fait de moi ce que je suis.
J'ignore tout de ce désespoir hurlant contre lequel je ne peux rien.