Citations sur Les enfants du serpent (22)
La mine est aussi gourmande de chair humaine que ses convives le sont de son coltan. Elle les avale, les digère, n’en laisse que les os. Une vingtaine de creuseurs crève dans son ventre chaque année. C’est le risque à prendre pour subsister et ne pas mourir de faim. Un comble. Les cadavres restent là, dans l’indifférence générale, sous les gravats. La mine est leur tombeau. Et les autres ouvriers poursuivent leur boulot sans ciller, dans la crasse, la chaleur et l’odeur fétide de sueur et de viande faisandée. Parce qu’il faut trouver du coltan, toujours. Pour bouffer et nourrir les siens.
Il relit la déposition d’un soldat qui s’était fait choper juste après l’attaque de Bumia et qui, mort saoul, avait témoigné sans aucun complexe. Quand on l’avait interrogé sur les raisons de ces viols, il avait répondu tout naturellement : « On l’a fait car on pouvait. On nous avait donné quartier libre. On nous avait donné quartier libre. » Après des mois passés en forêt, sous la violence, les armes et dans la peur, ce type avait vu cette soirée comme une sortie « all inclusive » dans un bar. Consommation à volonté, sans éthique ni remords. Une façon de libérer hargne et frustrations.
Il faut que ton esprit s’évade vers la rivière. Imagine-nous plonger les bras dans l’eau au rythme de cette comptine
" Maintenant, on viole par superstition. Violer une vierge porterait chance et permettrait de trouver beaucoup de coltan dans son tamis. Les violences faites aux femmes sont banalisées, les crimes rarement punis. Les victimes restent silencieuses. L'homme veut, il se sert. Point. "
— Je sens un pouls mais il est très lent. Il faut l’emmener au dispensaire de Lumvu.
— Comment veux-tu ? C’est beaucoup trop loin. Elle ne tiendra jamais le coup jusque-là. Regarde tout le sang qu’elle a perdu, répond Gloria en pointant de son index tremblant les jambes nues de sa fille.
— Ici, elle mourra de toute façon, regrette Patty, torpillant le cœur de la mère. Et je sais ce que c’est que de perdre un enfant. Je ne le souhaite à personne.
— Le dispensaire est à plus de trois heures de marche à travers la forêt. Il fait nuit, le chemin n’est pas évident à trouver, même de jour. Et puis, nous risquons de croiser les miliciens.
— Il faut partir, aller jusqu’à Lumvu. …
Les hommes armés se sont retirés, repus de violence, gavés de sévices, déchargés de toute leur bestialité.
Il n' y a que le pognon et le pouvoir qui motivent les hommes depuis la nuit des temps. Il y a le cul aussi. Dans l'est de la République démocratique du Congo, les viols sont devenus systématiques et atteignent des proportions aberrantes. On assiste à une forme évoluée et pernicieuse de génocide à long terme. Les conséquences sont terribles. Beaucoup de victimes restent stériles. Les maris, traumatisés de voir leurs épouses violées , sont frappés d'impuissance . Certaines femmes sont kidnappées pour servir d'esclaves sexuelles nombre d'entre elles tombent enceintes de leur bourreau. Ces gamins sont rejetés par la société et voués à intégrer la milice. Et à devenir des ordures à leur tour.
Encore un de ces pauvres gosses que les milices recrutent dans les rues. Un enfant du serpent. Il est jeune, mais ses yeux sont sans pitié.
— Que font ces hommes, payés par le gouvernement, lorsqu’ils croisent vos sœurs ?
— Ils les violent et ils les tuent !
— Et nous, que faisons-nous ?
— On venge nos mères, nos femmes et nos sœurs !
— Et comment le faisons-nous ?
— On tue les soldats !
— Et pour les tuer, de quoi avons-nous besoin ?
— D’armes !
— Et pour acheter des armes, de quoi avons-nous besoin ?
— D’argent !
— Et où trouve-t-on cet argent ?
— Dans les mines de coltan !
Il faut se méfier d’un fruit trop lisse, un ver peut se cacher près du noyau.