Citations sur Les enfants du serpent (22)
La mine est aussi gourmande de chair humaine que ses convives le sont de son coltan. Elle les avale, les digère, n’en laisse que les os. Une vingtaine de creuseurs crève dans son ventre chaque année. C’est le risque à prendre pour subsister et ne pas mourir de faim. Un comble. Les cadavres restent là, dans l’indifférence générale, sous les gravats. La mine est leur tombeau. Et les autres ouvriers poursuivent leur boulot sans ciller, dans la crasse, la chaleur et l’odeur fétide de sueur et de viande faisandée. Parce qu’il faut trouver du coltan, toujours. Pour bouffer et nourrir les siens.
Il relit la déposition d’un soldat qui s’était fait choper juste après l’attaque de Bumia et qui, mort saoul, avait témoigné sans aucun complexe. Quand on l’avait interrogé sur les raisons de ces viols, il avait répondu tout naturellement : « On l’a fait car on pouvait. On nous avait donné quartier libre. On nous avait donné quartier libre. » Après des mois passés en forêt, sous la violence, les armes et dans la peur, ce type avait vu cette soirée comme une sortie « all inclusive » dans un bar. Consommation à volonté, sans éthique ni remords. Une façon de libérer hargne et frustrations.
— Que font ces hommes, payés par le gouvernement, lorsqu’ils croisent vos sœurs ?
— Ils les violent et ils les tuent !
— Et nous, que faisons-nous ?
— On venge nos mères, nos femmes et nos sœurs !
— Et comment le faisons-nous ?
— On tue les soldats !
— Et pour les tuer, de quoi avons-nous besoin ?
— D’armes !
— Et pour acheter des armes, de quoi avons-nous besoin ?
— D’argent !
— Et où trouve-t-on cet argent ?
— Dans les mines de coltan !
Il faut se méfier d’un fruit trop lisse, un ver peut se cacher près du noyau.
Quand on l’avait interrogé sur les raisons de ces viols, il avait répondu tout naturellement : « On l’a fait car on pouvait. On nous avait donné quartier libre. » Après des mois passés en forêt, sous la violence, les armes et dans la peur, ce type avait vu cette soirée comme une sortie « all inclusive » dans un bar. Consommation à volonté, sans éthique ni remords.
— Je sens un pouls mais il est très lent. Il faut l’emmener au dispensaire de Lumvu.
— Comment veux-tu ? C’est beaucoup trop loin. Elle ne tiendra jamais le coup jusque-là. Regarde tout le sang qu’elle a perdu, répond Gloria en pointant de son index tremblant les jambes nues de sa fille.
— Ici, elle mourra de toute façon, regrette Patty, torpillant le cœur de la mère. Et je sais ce que c’est que de perdre un enfant. Je ne le souhaite à personne.
— Le dispensaire est à plus de trois heures de marche à travers la forêt. Il fait nuit, le chemin n’est pas évident à trouver, même de jour. Et puis, nous risquons de croiser les miliciens.
— Il faut partir, aller jusqu’à Lumvu. …
Phionah pèse de tout son poids dans les bras de Gloria. D’autres enfants s’accrochent à leur mère. Ils s’agrippent à leurs jambes, se pendent à leur cou. Des filles et des garçons qui n’ont plus de larmes pour pleurer. Ils progressent au milieu des baraquements de bois, de paille et de tôle, fébriles, les yeux encore écarquillés de peur. Choqués par les scènes auxquelles leur candeur n’aurait jamais dû assister.
Une dame à la peau flétrie par le temps invite les infortunées à se joindre à elle, à se rassembler sur la place principale. Toutes obéissent, ravies d’être guidées alors qu’elles sont au sommet de leur perdition. Les mères la suivent, aveuglément, les jambes flageolantes. L’une d’elles trébuche, tombe, tant elle est faible. Une femme et ses deux filles se pressent, pensant que s’éloigner de leur case effacera l’humiliation qu’elles ont subie.
Les hommes armés sont partis, emportant avec eux ce que les femmes du village ont de plus cher. L’innocence de leurs enfants, leur dignité, leur soif de vivre. »
Ce ne sont pas les hommes qui soutiennent leurs femmes, ce sont elles qui les guident à travers l’obscurité.
Leur obscurité éternelle.
Tous ces hommes s’accrochent à leurs épouses, aveugles. Les orbites creuses et sanglantes.