Citations sur Trois jours à Oran (16)
C'était du fantasme, du manque. C'est devenu de la douleur, de la faim, une obsession. Toutes nos passions sans doute sont des reconstructions
Je ne sais pas si j'oserai griller une cigarette devant mon père, qui a officiellement arrêté il y a longtemps même si mon frère reste convaincu qu'il continue en douce, j'étais petite encore, lui c'étaient des brunes, des Gitanes, ça lui allait plutôt bien, souvent il m'envoyait lui acheter un paquet. Moi, ce sont des blondes. J'ai une cartouche dans ma valise
L'habitude est un mot trop usé pour dire cette liaison passionnée de notre corps qui n'oublie pas...
Sur les dessins, la ferme semble immense. Sur le cliché, toute petite. J'ai toujours eu l'impression troublante qu'il ne s'agissait pas du même endroit.
Nous partons, ils restent. Ici, c'est chez eux maintenant. C'est peut-être pour cela que nous sommes venus, pour leur remettre symboliquement les clés, quarante quatre ans après. Tout est en ordre.
La mémoire de mon père m’impressionne. Celle d’Amin, me stupéfie. Ce n’est pas celle d’un garçons d’une trentaine d’années qui aime avant tout s’amuser et dont le caractère a priori joyeux n’a rien de nostalgique. En aucun cas il ne peut s’agir de ses propres souvenirs, on les lui a transmis. Il a reçu l’Algérie française en héritage, comme moi.
Chaque année au 15 août, on descendait dans le Sud, dans la région de Montpellier pour une paella géante, le riz, comme ils disaient, on se retrouvait tous, les frères, les sœurs, les neveux, les nièces, les cousins, les petits-enfants. Et c'était tout. L'Algérie, ça ne sortait pas de la famille.
Malgré cela, je devine que, pour un certain nombre de rapatriés, cette parodie d'eux-mêmes, qui m'a toujours remplie d'embarras et de colère a sans doute fait fonction de catharsis, et représentait aussi une façon de ne pas tomber dans l'oubli. Le besoin de se faire remarquer.
'arpente pour la cinquième fois le terminal sud d'Orly, je suis arrivée aux aurores après une nuit blanche. Depuis combien de temps je ne dors plus ? Nous sommes convenus de nous retrouver directement à l'aéroport. C'est moi qui ai les billets ainsi que les passeports avec les visas, je vérifie en moyenne toutes les dix minutes dans mon sac à main, chaque fois que je sors fumer. Je n'aurais pas dû reprendre après tant d'années, c'est une faiblesse, mais on n'est pas toujours héroïque, je le suis de moins en moins, d'ailleurs quand je dors seule je laisse la lumière du couloir allumée..
Sauf que ma grand-mère se trompait. Elle n'a pas pu effectuer la traversée dix-huit fois, mais dix-sept ou dix-neuf. Un nombre impair, forcément car le dernier aller fût sans retour.