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Critique de Henri-l-oiseleur


Que peut écrire un simple particulier, un lecteur de passage, sur un dialogue platonicien comme celui-ci, entouré de deux mille ans de lectures, d'admiration et de grands commentaires ? Il est facile de se couvrir de ridicule et, comble du ridicule, de ne pas s'en apercevoir. C'est Alcibiade qui, à la fin du Banquet, nous indique le bon état d'esprit : "atteint et mordu par les discours de la philosophie" au "coeur ou à l'âme" (218), on a "honte" comme lui devant Socrate, de n'être pas à la hauteur de ce qu'il enseigne et de ce qu'il conçoit (216). Sachant cela, il est peut-être préférable de lire le Banquet avec naïveté, comme si c'était le tout premier livre philosophique qu'on tient entre ses mains, tout en sachant, par la "pensée de derrière", qu'il y a bien plus à voir et à penser qu'on ne saurait dire.

Lire, dire : en effet, il y a loin entre les Atheniens du V s de ce Banquet, et nous qui lisons ce dialogue muettement, solitairement, par l'oeil et par la pensée, deux mille ans après, selon un mode de lecture attesté pour la première fois avec Ambroise de Milan. Dans l'oralité soignée d'une culture de l'éloquence et de la compétition, il s'agit de faire un éloge d'Eros, le dieu de l'amour, lors d'une amicale réunion où chacun va concourir et tâcher d'être celui qui aura le mieux parlé. Il s'agit donc de beaux discours, et d'un dieu qui, pour nous, est mythologique. Au centre de ce Banquet paradoxal où l'on boit peu (sum-posion est un titre un peu trompeur) il y a la figure de Socrate qui, à la fin, sera l'objet des éloges d'Alcibiade. On passera donc d'une figure divine à une figure humaine, d'un dieu évidemment divin à un homme laid, négligemment vêtu, qui renferme, comme Rabelais le souligna plus tard, sous son humble et ridicule apparence une pensée véritablement divine. On ne saurait trouver un meilleur exemple de l'enfantement, par la pensée et l'art grecs, du Logos (la pensée philosophique) par le Muthos (le mythe), incarnés en deux personnes complémentaires et opposées.

De la même façon, ce dialogue nous conduira de la poésie à la philosophie, de l'image au concept, de la rhétorique à la méditation. Ce passage, cependant, n'annule pas son point de départ : en effet, le Banquet est un livre de philosophie magnifiquement écrit, où le concept se dévoile dans l'expression poétique et non malgré elle, et où l'art n'est pas au service de la pensée qu'il viendrait habiller, mais la pensée même. le Banquet est l'exemple typique de l'unité intime du beau et du vrai, ou du moins de la recherche de l'un et de l'autre. Nietzsche, philosophe-artiste s'en souvint, lui qui passa sa vie à méditer sur ce Platon dont il disait, citant les Anciens : "Platon est un ami, mais j'ai plus d'amitié encore pour la vérité" (Plato amicus, sed magis amica veritas).
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