Les Couleurs du destin

Plus rien ni personne n’existe, ni les gens, ni les murs, ni la vieillesse de la maman retrouvée, ni la maladie du fils revenu. Être à nouveau réunis, cela seul compte en dépit de l’échéance d’une nouvelle séparation ; le temps accordé n’a que peu d’importance.

Camille n'avait pas besoin d'infusion de saule, sa douleur se situait plus sûrement au coeur et à l'âme.

Treize ans ! Tout une enfance et une adolescence englouties dans un univers de mépris, d’insultes, de corvées les plus basses à accomplir, voilà où l’avaient conduit ses rébellions de gamin indiscipliné !

Ne l’oublie pas, mon amour, un enfant, c’est un cadeau de Dieu qu’il nous appartient d’accueillir avec joie.

Les bonheurs sont d’autant plus transcendés qu’ils sont précédés des plus noires angoisses. Celles qu’avait vécues Jaume suspendu au souffle de son épouse terrassée par une seconde hémorragie post-partum lui avaient fait respirer le souffle hideux de la mort, l’avaient précipité au bord d’un gouffre abominable, celui de l’anéantissement de son foyer.

Je ne vous ferai pas l’insulte de vous demander si vous croyez au coup de foudre, mère ; les circonstances ô combien romantiques de votre union avec père en sont un témoignage. Il en fut de même la première fois que je vis Camille, j’eus l’espoir qu’aussitôt elle réponde à mon amour. Nous avons décidé d’unir nos vies le jeudi 12 octobre.

C’était donc bien vrai, je ne suis, n’ai jamais été et ne serai jamais qu’une pécheresse !
Un aveu murmuré d’une voix chevrotante, un soupir échappé d’une âme en déroute, une conclusion désolée, en peu de phrases, Camille avait résumé ce qu’elle retenait de sa jeune vie et ramené sur elle le regard attendri de Jaume Mercadier.

L’instinct a des subtilités qui échappent souvent à l’analyse ; ainsi celui qui guida l’incertitude de ses pas l’amena devant un long bâtiment s’élevant sur deux niveaux et divisé en quartiers, chacun s’articulant autour d’une cour et tous réunis par des passages couverts. Sa méconnaissance des constructions militaires n’aurait pas alerté Camille d’une possible caserne si, sur toute la longueur de l’édifice, des soldats n’avaient monté la garde.

La femme de sa vie, cette gamine de vingt ans sa cadette ? Joli brin de fille, certes, mais sans nom ni fortune. Ainsi la jugerait la bonne société provençale qui n’en ferait qu’une bouchée, il connaissait ce dont elle était capable s’il la leur livrait en pâture.
Encore qu’elle ne fût point sotte, elle l’avait prouvé en refusant son offre d’un emploi de dessinatrice. Avec une finesse de raisonnement qui lui tenait lieu d’instruction, elle avait pressenti combien cette faveur aurait nui à l’indienneur.

Vous resterez dans mon souvenir comme la meilleure personne que la Providence a mise sur mon chemin. Mais l’heure a sonné de voler de mes propres ailes.