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Critique de Charybde2


D'un immeuble en bord de plage, puissamment symbolique et voué à la démolition, extraire une intense et poétique histoire d'amour incalculable.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/30/note-de-lecture-le-signal-sophie-poirier/

Le Signal est un immeuble résidentiel, construit en 1970 à Soulac-sur-Mer, sur le littoral atlantique médocain, à 200 mètres de la mer (à marée haute), à l'époque. Immeuble pionnier d'un vaste projet résidentiel ensuite abandonné (pour les raisons économiques souvent mystérieuses – ou non – qui affectent ainsi la promotion immobilière), il restera, seul, témoin d'une gentille ambition balnéaire n'ayant pas (suffisamment) pris en compte l'érosion, celle-là même qui hantait et creusait en 2020 le superbe et inquiétant « Nos corps érodés » de Valérie Cibot, et les quatre à cinq mètres que l'océan gagne ici tous les ans sur la terre… Déclaré inhabitable en 2014, il voit ses habitants expulsés presque du jour au lendemain par un certain Didier Lallement, alors préfet de Gironde, dont la brutalité satisfaite n'était pas encore devenue légendaire, habitants ensuite condamnés (en vertu de quoi : d'avoir voulu regarder la mer depuis leur « chez eux », sous les encouragements et les assurances du capitaliste constructeur et de l'État certificateur étroitement alliés alors) à un long combat judiciaire pour obtenir une maigre indemnisation au bout de sept années de labeur désabusé.

D'une langue tour à tour subtile ou brutale, simple ou raffinée, Sophie Poirier, avec ce texte publié chez Inculte Dernière Marge en janvier 2022, nous invite à partager l'envoûtement de ce lieu devenu puissamment multi-symbolique, à partager son errance poétique en compagnie de son acolyte maître des images, Olivier Crouzel (dont il faut absolument visiter le site, ici), à s'immiscer dans une intimité géographique enfouie et bafouée pour en éprouver discrètement toute la résonance bien contemporaine.

Ancré simultanément dans les codes implicites et explicites de l'exploration urbaine, plus familière sous son condensat d'urbex (même si les conditions particulières de l'abandon du bâtiment le rapprochent sans doute davantage d'une situation à la Pripiat – à éprouver chez Patrick Imbert ou chez Emmanuel Lepage – que de celle, plus « normale » en apparence des friches de l'ex-RDA hantées avec brio par Nicolas Offenstadt), et de la psychogéographie (même s'il n'y a pas sans doute pas ici de dérive à proprement parler, au sens situationniste qui continuait à irriguer par exemple le pas de Philippe Vasset et de son « Livre blanc » ou de Xavier Boissel et de son « Paris est un leurre », mais plutôt une profonde mise en poésie et en mystère, en s'appuyant le moment venu sur une unique et rusée résonance, celle de l'hôtel désaffecté White Beach en Grèce), « le Signal » est une créature entièrement à part. On y retrouvera encore magnifiés sans doute le sens aigu de l'observation simultanément empathique et critique (au sens fort – et sain – du terme) que l'on pouvait déjà apprécier dans « Les points communs » en 2018 et sur le beau blog L'expérience du désordre (ici), en permanence, comme la capacité à jouer d'une écriture majoritairement pudique ne dédaignant pourtant pas de soudains coups de force, pour dire énormément avec peu de mots et de rusés silences, capacité que l'on avait déjà ressentie un peu plus qu'en germe à la lecture de « Mon père n'est pas mort à Venise » et de « La libraire a aimé », il y a déjà un certain temps. C'est peut-être bien aussi qu'à nouveau, ce texte protéiforme est, en son centre pas si secret, celui d'une histoire d'amour, surprenante et intense – et que l'objet apparent en soit un immeuble voué à une prochaine destruction après avoir incarné d'humbles rêves prométhéens ne la rend que plus poignante dans sa magie.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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