Il faut plusieurs lieux en soi pour garder quelque chance d'être soi.
Que le verbe se fasse chair est décidément la seule chose qui m'intéresse. Le mystère de l'incarnation n'est pas à mes yeux une affaire de religion mais d'esthétique.
"Tant qu'il y aura des livres, personne n'aura jamais le dernier mot"
Nous avons inventé les mots pour échapper à la loi de la pesanteur, pour retarder l'instant fatal de la chute.
D'abord, j'y vivais hors de ma famille où, comme dans toute famille, régnait une loi secrète du silence. Non qu'on y fut particulièrement réservé - nous avions même nos volubiles- mais tout ce qui se transmet de fort chez les siens, tout ce qui les attache, les fixe les uns aux autres, la haine ou l'amour, la rancoeur, le malaise, ne peut se dire. Cela, un enfant le perçoit plus vivement qu'un adulte. Et réussirait-elle à s'avouer, toute cette passion, que l'effet, comme on le voit plus tard dans les couples avides de transparence, serait nul. Seul le non-dit cimente la vie des familles, une vie qui ne bouge pas.
"Les mots tuent quand ils nous désignent."
"Je verrai toujours le territoire étroit de la parole limité aux deux bouts par l'état de l'infans et celui de l'aphasique : Paradis et Enfer, délices et supplices, doux sommeil et cauchemar. Entre les deux, les images déjà toutes prêtes à former un récit."
Ce que je cherchais naguère dans la lecture et ce que je n'y trouve plus comme si elle ne pouvait plus m'emporter vers l'étranger, c'est dans et sur ce mérier qui tisse et détisse, délie et relie, que je le rencontre. Là est le lieu dit qui à la fois creuse et anime tous les autres.
"Et c'est maintenant, écrivant ce livre-ci, qu'une analogie s'impose : dans la langue que parlait, d'une année sur l'autre, le lycée comme dans celle qui se figurait, aussi d'une année sur l'autre, par les rituels de l'été, j'étais moi-même comme un mot, une syllabe, comme un signe, célébrant à ma manière, de ma place d'enfant silencieux, l'excellence de ces langues-là. Je pouvais bien, par éclairs, me demander si mon existence se réduisait à ce signe discret et constituer ainsi, peu à peu, ma réserve intime de parole. N'empêche que, je n'avais rien à inventer, sinon quelques légères variantes dans la syntaxe des travaux et des jours."