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Critique de KateMoore


Il s'agit du premier livre de Joseph Ponthus. Il comporte deux parties :
« L'usine » : lorsqu'il travaille dans une conserverie de poissons, crustacés…
« L'abattoir » : lorsqu'il est embauché pour travailler sur des carcasses de porcs, de vaches….

A la base, l'écrivain ne se destinait pas à travailler en usines.
Il a fait des études supérieures et il était devenu éducateur spécialisé dans la région parisienne.
Par amour, il quitte tout et part en Bretagne rejoindre celle qu'il aime, à Lorient.
En Bretagne, il ne retrouve pas de travail dans son secteur d'activité. Pour ramener un salaire de plus au foyer, il contacte les agences d'intérim.
Elles ne lui trouvent que des emplois dans des usines agroalimentaires comme ouvrier à la chaîne.

D'ailleurs dans la novlangue, ces deux mots : « ouvrier » et « à la chaîne » sont bannis du vocabulaire, comme beaucoup d'autres mots, trop « dégradants » pour le salarié.
En fait, Joseph Ponthus travaille en temps qu' « opérateur de production ». Il travaille « à la ligne » avec des « personnes ressource » ou des « casques rouges » (un peu d'humour, ça ne fait pas de mal et ça fait passer le temps) pour surveiller les tâches effectuées et non pas la dénomination « contremaîtres ».

Joseph Ponthus devient un salarié précaire de plus dans cette France qui voit tous les samedis défiler les gilets jaunes, les sans dents. Il est obligé de se plier au marché du travail qui fluctue sans cesse : un contrat d'une journée, parfois de plusieurs semaines (un soulagement pour l'auteur, il n'aura pas à « harceler » les boîtes d'intérim tous les jours). Oh miracle ! Ce peut-être, rarement, un contrat de plusieurs mois.

Le travail est extrêmement pénible : les horaires sont souvent décalés, le planning peut changer le jour même (il faut toujours avoir son téléphone portable allumé), le travail de nuit… Et puis, pour pousser des carcasses, enfourner des tonnes de bulots avec une pelle dans une machine ; le corps fatigue, il n'en peut plus, il craque, il s'épuise. Les travailleurs poussent leur corps jusqu'à l'extrême limite même avec des douleurs insupportables au dos, aux lombaires….
Ils n'ont pas le choix : c'est cela ou Pôle Emploi.

Ce livre m'a fait penser au film « Les Temps Modernes » réalisé et joué par Charlie Chaplin, datant de 1936. Charlot est ouvrier dans une gigantesque usine et tout son travail consiste à resserrer des boulons, quotidiennement, à une cadence infernale. le cinéaste avait pour but de dénoncer les ravages du Taylorisme sur les ouvriers.

Aujourd'hui, et Joseph Ponthus le souligne avec son livre « A la ligne - Feuillets d'usine », cette façon de travailler existe toujours.
Et même plus, elle est de plus en plus transposée dans les métiers dits « de service » ainsi que dans le tertiaire. On parle de « Taylorisme à visage humain ». Cela consiste à morceler les tâches par le biais de l'informatique ou de la robotique. Tout est rentabilisé à l'extrême : chasse aux gaspillages de temps, de gestes…
Ce concept est « vendu » aux salariés comme une possibilité d'effectuer des tâches plus « nobles », d'acquérir de l'expérience et monter dans la hiérarchie.
Or le salarié est amené, en grande partie, à corriger ce que l'informatique n'arrive pas à traiter en premier, pour, après, s'attacher à ses nouvelles fonctions. D'où une croissance exponentielle du travail à faire, une déresponsabilisation….

Joseph Ponthus, quand il est au boulot, pour chasser la lassitude des gestes énièmement répétés, se réconforte avec la littérature. Il se rappelle les sketchs de Fernand Raynaud, se chante du Trenet ou du Barbara (un peu moins, ses chansons sont un peu trop tristes). Il se récite des vers, plus spécifiquement des quatrains dont il oublie toujours la dernière rime ; pas grave, le temps de la trouver, il se sera passé une heure / deux heures de travail. Il aime beaucoup aussi se réciter des poèmes d'Aragon, d'Apollinaire….

J'ai aimé ce livre. Je l'ai lu avec délectation, aussi, pour son écriture. L'auteur a écrit ses chapitres sur le modèle d'un poème. Il s'agit d'une écriture sans point, sans virgule ; avec juste une majuscule à presque chaque début de phrase, « à la Ligne ». La lecture reste fluide et agréable.
Joseph Ponthus, après son travail, chaque jour, s'attelle à écrire son quotidien, tout particulièrement à l'usine, pour ne rien oublier. Et il en a fait un livre émouvant, avec de l'humour. Il a rendu un bel hommage aux ouvriers qui font tourner l'économie du pays. Il ne faut jamais l'oublier et surtout ne pas être méprisant avec cette partie de la France qui se lève tôt ou se couche tard.

Je finis par le début du livre. En épigraphe, l'écrivain dédit celui-ci, notamment :

AUX PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS
AUX ILLETTRES ET AUX SANS DENTS
AVEC LESQUELS J'AI TANT
APPRIS RI SOUFFERT ET TRAVAILLE

Je remercie Babelio avec sa Masse Critique, ainsi que l'éditeur La Table Ronde de m'avoir permis de recevoir ce formidable livre. Sa lecture a été une grande joie pour moi.
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