Maintenant que notre père n'était plus là pour transformer le monde en puzzle, Jonah et moi désertâmes tous les terrains de jeux mentaux, à l'exception de la musique.
Le monde n'était pas un madrigal. Le monde était un hurlement.
Il est possible que le temps obéisse à la loi des quanta, qu'il soit aussi discontinu que les notes d'une mélodie. Il est possible qu'on puisse le dépasser dans un sens ou dans l'autre, grâce à des chronons subatomiques aussi distincts que le tissu de la matière. Les tachyons, cantonnés aux vitesses supérieures à celle de la lumière - fantaisies autorisées par les prohibitions les plus draconiennes d'Einstein - peuvent bobarder cette vie en annonçant tout ce qui l'attend, mais la vie e deçà de la vitesse de la lumière ne peut ni les voir ni les décrypter. David Strom ne devrait pas être ici, libre, vivant. Pourtant il est ici et traverse Washington à pied pour entendre une déesse chanter, en direct, et en plein air.
Mon frère chante pour sauver les bons et faire que les méchants se suicident.
Chacun d'entre nous est un moi impénétrable pour les autres.
Il y eut un son sinistre et discordant. A trois heures du matin, même "Joyeux anniversaire" est terrifiant.
- Tu vas suivre les cours des deux ?
Jonah émit un gloussement théâtral de condamné.
Il passa une saison en enfer. Il prit une leçon par semaine avec chacun des deux grands hommes, redoublant de travail, se débattant pour se souvenir quel professeur avait demandé quoi. Il se garda bien de parler à chacun de son rival. L'ensemble se déroula comme une sordide farce de boulevard. Jonah filait d'un studio à l'autre, dissimulait les preuves, changeait d'approche du jour au lendemain, jurant fidélité à des méthodes antinomiques.
En outre : aucun homme égaré dans la loterie divine n'avait le droit de tirer profit d'autre chose que de la sueur de son front. Le travail était l'unique activité humaine capable de créer de la richesse. Toute autre accumulation n'était qu'une variante déguisée du système des plantations. En cette soirée de printemps où il prenait l'air, en saluant les voisins qui se prélassaient dans leurs fauteuils à bascule, sur les vérandas, William jura non seulement de ne plus jamais toucher à la bourse, mais également de ne plus faire appel aux banques et autres caisses d'épargne, ni à toute autre institution qui promettait quelque chose contre rien.
Il y a ce soir en Jonah une tension particulière, l'incandescence du patient tuberculeux au seuiil de la mort.
"Prends ton temps, ma fille. Plus elle mijote, meilleure est la compote."