Le regard fixe des orbites scintillantes enveloppe la tortue du monde qui rame dans les grands fonds de l'espace, la carapace balafrée par les comètes et grêlée par les météores. Un jour, même la grande A'Tuin mourra, la Mort le sait ; voilà qui sera un vrai défi à relever.
Les savants ont calculé que les chances d'exister d'un phénomène aussi manifestement absurde sont de une sur un millions.
Mais les magiciens, eux, ont calculé que les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
- Vous faisiez quoi dans la vie?" s'enquit le jeune homme fluet derrière son bureau.
La silhouette en face de lui s'agita, mal à l'aise.
"JE FAISAIS PASSER LES ÂMES DANS L'AUTRE MONDE. J'ÉTAIS LE TOMBEAU DE TOUS LES ESPOIRS. J'ÉTAIS LA RÉALITE ULTIME. J'ÉTAIS L'ASSASSIN DEVANT LEQUEL AUCUNE SERRURE NE RÉSISTE.
- Oui, j'entends bien, mais avez vous des compétences particulières ?"
La Mort réfléchit.
"DISONS UNE CERTAINE EXPÉRIENCE DANS LE MANIEMENT DE L'OUTILLAGE AGRICOLE ?" hasarda-t-il au bout d'un moment.
Morty regarda autour de lui. Ysabell donnait à fond dans les fanfreluches. Même la coiffeuse avait l'air de porter un jupon. La pièce dans son ensemble était moins meublée qu'enfalbalée.
L'apprenti hésita. Surtout parce qu'il avait peur et se sentait embarrassé, mais aussi parce que le spectacle d'un spectre encapuchonné montant paisiblement des mouches sèches aurait suffi à couper la voix à n'importe qui.
Morty laissa tomber un regard sur ses œufs frits. Ils le lui renvoyèrent depuis leur océan de graisse. Albert avait entendu parler de diététique et n'approuvait pas.
C'était marrant, les sourcils,songea t-il. C'est une fois qu'ils sont partis qu'on les remarque vraiment.
Les buveurs isolés et consciencieux génèrent toujours une sphère mentale autour d’eux qui leur assure une totale intimité
Vous êtes morte. C’est fatal. Faut accepter votre sort.» Il lui adressa un sourire d’excuse. «Vous avez beaucoup plus de chance que la plupart des morts, si vous considérez votre cas objectivement. Vous êtes vivante pour en profiter.
- Vous disiez que je vous croyais soûl.
- UNE EKCHPÉRIENCHE QUE CH’FAIS. ET MAINTENANT, J’AIMERAIS BIEN RECOMMENCHER L’EKCHPÉRIENCHE AVEC L’EAU-DE-VIE D’ORANGE. »
Le patron soupira et jeta un coup d’œil à la pendule. Pas de doute, il gagnait beaucoup d’argent, surtout que ça n’avait pas l’air de gêner l’étranger de payer des prix prohibitifs ou qu’on le carotte sur la monnaie. Mais il se faisait tard ; si tard, d’ailleurs, qu’il se faisait tôt. Il y avait aussi quelque chose chez le client solitaire qui le mettait mal à l’aise. Les habitués du Tambour Rafistolé buvaient souvent comme s’il ne devait pas y avoir de lendemain ; mais pour la première fois, il se demandait vraiment s’ils n’avaient pas raison.
« J’VEUX DIRE, QU’EST-CHE QUE J’PEUX ATTENDRE DE L’EGJICHTENCHE ? QUEL CHENCH DONNER À TOUT CHA ? À QUOI CHA RIME ?
- J’saurais pas dire, l’ami. J’pense que ça ira mieux quand vous aurez bien dormi.
- DORMI ? DORMI ? J’DORS JAMAIS. CH’UIS MACHIN, CH’UIS CONNU POUR CHA.
- Tout le monde a besoin de dormir. Même moi, suggéra le patron.
- PERCHONNE M’AIME, VOUS CHAVEZ.
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