Je succombe toujours aux gens qui rient. Les gens qui rient m'introduisent un instant dans leur propre tribu. Qu'est-ce qu'un rire, après tout ? Une explosion d'enfance partagée. C'est dans le rire que l'humanité nivelle ses différences et efface ses rides.
À quoi l'on sert quand on ne rend personne heureux ?
Quand je marche, il m'arrive d'accepter de ne plus rien avoir, aucun garde-fou, aucune certitude, aucun trésor à moi, et de m'en sentir vraiment légère, puisque le sol infatigable continue de me supporter.
Pourquoi? Pourquoi cette histoire tordue et impossible fait-elle mal, peur, produit-elle des toxiques qui dérangent? Pourquoi d’ailleurs inventer des histoires? N’existe-t-il pas d’événements suffisamment biscornus dans la vie réelle, qui nous empoisonnent et nous distraient de nos tâches essentielles, sans se mettre à en rajouter?
(Boréal, p.184)
— Les louanges me font horreur, presque aussi horreur que l’absence de louanges. Le fait qu’il existe des louanges, et qu’on peut en être privé ou gratifié, rend la vie des créateurs impossibles.
(Boréal, p.287)
Les écrivains écrivent. Ils érigent des mots contre le vacarme extérieur, chaque mot soulève autour d’eux des pelletées de terre qui masquent peu à peu les fenêtres de la vie ordinaire, et ils écrivent, ils descendent dans les mots, ils s’enfouissent dans le puits de leurs mots jusqu’à trouver leur tranchée secrète, inattaquable, celle de la douleur ou de la transe selon leur tempérament et leur signe astrologique, et dans cette tranchée solitaire et humide ils étalent leur imaginaire et se mettent à fignoler leur édifice.
(Boréal, p.31)
Il y a des personnes qui m'aiment, trois exactement, et qui m'offrent des cadeaux. Ces trois personnes, auparavant, m'ont assuré une enfance tranquille et douce. Même la quatrième personne, celle qui n'est plus à la table et que je continue de ne pas chérir, n'a jamais troublé mon existence. N'a jamais exercé de violence contre moi, n'a jamais exigé de moi quoi que ce soit d'aisé ou de difficile, n'a jamais porté la main sur moi. (Jamais touchée, jamais caressée, jamais bercée, jamais embrassée, jamais jamais.)
"Dans les centres commerciaux, révélation percutante, les humains sont aériens et légers parce que la proximité de la consommation efface leurs rides existentielles, parce que la satisfaction, ou l'éventualité de la satisfaction, réduit momentanément leur angoisse à zéro". p.224
J'ai envie de changer de vie, dit tout à coup Zéno.
Comment les mots de papier peuvent-ils se transformer ainsi en chaleur et en violence, mystère, mystère suspects qui n'est pas loin de la sorcellerie.