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Citations sur A la recherche du temps perdu, tome 5 : La Prisonnière (181)

Je ne savais plus dire : "Je suis triste." Je me bornais, la mort dans l'âme, à parler de choses indifférentes qui ne me faisaient faire aucun progrès vers une solution heureuse. Je piétinais sur place dans de douloureuses banalités.
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Je ne lui rappelai pas son mensonge. Mais il m'accabla. Et je remis encore à une autre fois la rupture. Il n'y a pas besoin de sincérité ni même d'adresse dans le mensonge, pour être aimé. J'appelle ici amour une torture réciproque.
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Il est du reste à remarquer que la constance d'une habitude est d'ordinaire en rapport avec son absurdité. Les choses éclatantes on ne les fait généralement que par à-coups. Mais des vies insensées, où le maniaque se prive lui-même de tous les plaisirs et s'inflige les plus grands maux, ces vies sont ce qui change le moins. (...) Il suffirait d'un petit mouvement d'énergie, un seul jour, pour changer cela une fois pour toutes. Mais justement ces vies sont habituellement l'apanage d'êtres incapables d'énergie. Les vices sont un autre aspect de ces existences monotones que la volonté suffirait à rendre moins atroce.
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Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? Certes, les expériences spirites pas plus que les dogmes religieux n'apportent de preuve que l'âme subsiste. Ce qu'on peut dire, c'est que tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions avec le faix d'obligations contractées dans une vie antérieure; il n'y a aucune raison dans nos conditions de vie sur cette terre pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, à être délicats, à être polis, ni pour l'artiste athée à ce qu'il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l'admiration qu'il excitera importera peu à son corps rongé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Ver Meer. Toutes ces obligations, qui n'ont pas leur sanction dans la vie présente, semblent appartenir à un monde différent, fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde entièrement différent de celui-ci, et dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d'y retourner revivre sous l'empire de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l'enseignement en nous, sans savoir qui les y avait tracées - ces lois dont tout travail profond de l'intelligence nous rapproche et qui sont invisibles seulement - et encore! - pour les sots. De sorte que l'idée que Bergotte n'était pas mort à jamais est sans invraisemblance.
On l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection.
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Elle me dit (et je fus, malgré tout, profondément attendri car je pensai : certes je ne parlerais pas comme elle, mais, tout de même, sans moi elle ne parlerait pas ainsi, elle a subi profondément mon influence, elle ne peut donc pas ne pas m’aimer, elle est mon œuvre) : « Ce que j’aime dans ces nourritures criées, c’est qu’une chose entendue comme une rhapsodie change de nature à table et s’adresse à mon palais. Pour les glaces (car j’espère bien que vous ne m’en commanderez que prises dans ces moules démodés qui ont toutes les formes d’architecture possible), toutes les fois que j’en prends, temples, églises, obélisques, rochers, c’est comme une géographie pittoresque que je regarde d’abord et dont je convertis ensuite les monuments de framboise ou de vanille en fraîcheur dans mon gosier. » Je trouvais que c’était un peu trop bien dit, mais elle sentit que je trouvais que c’était bien dit et elle continua, en s’arrêtant un instant, quand sa comparaison était réussie, pour rire de son beau rire qui m’était si cruel parce qu’il était si voluptueux : « Mon Dieu, à l’hôtel Ritz je crains bien que vous ne trouviez des colonnes Vendôme de glace, de glace au chocolat ou à la framboise, et alors il en faut plusieurs pour que cela ait l’air de colonnes votives ou de pylônes élevés dans une allée à la gloire de la Fraîcheur. Ils font aussi des obélisques de framboise qui se dresseront de place en place dans le désert brûlant de ma soif et dont je ferai fondre le granit rose au fond de ma gorge qu’elles désaltéreront mieux que des oasis (et ici le rire profond éclata, soit de satisfaction de si bien parler, soit par moquerie d’elle-même de s’exprimer par images si suivies, soit, hélas ! par volupté physique de sentir en elle quelque chose de si bon, de si frais, qui lui causait l’équivalent d’une jouissance). Ces pics de glace du Ritz ont quelquefois l’air du mont Rose, et même, si la glace est au citron, je ne déteste pas qu’elle n’ait pas de forme monumentale, qu’elle soit irrégulière, abrupte, comme une montagne d’Elstir. Il ne faut pas qu’elle soit trop blanche alors, mais un peu jaunâtre, avec cet air de neige sale et blafarde qu’ont les montagnes d’Elstir. La glace a beau ne pas être grande, qu’une demi-glace si vous voulez, ces glaces au citron-là sont tout de même des montagnes réduites à une échelle toute petite, mais l’imagination rétablit les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu’on sent très bien être tout de même des cèdres, des chênes, des mancenilliers ; si bien qu’en en plaçant quelques-uns le long d’une petite rigole, dans ma chambre, j’aurais une immense forêt descendant vers un fleuve et où les petits enfants se perdraient. De même, au pied de ma demi-glace jaunâtre au citron, je vois très bien des postillons, des voyageurs, des chaises de poste sur lesquels ma langue se charge de faire rouler de glaciales avalanches qui les engloutiront (la volupté cruelle avec laquelle elle dit cela excita ma jalousie) ; de même, ajouta-t-elle, que je me charge avec mes lèvres de détruire, pilier par pilier, ces églises vénitiennes d’un porphyre qui est de la fraise et de faire tomber sur les fidèles ce que j’aurai épargné. Oui, tous ces monuments passeront de leur place de pierre dans ma poitrine où leur fraîcheur fondante palpite déjà. Mais tenez, même sans glaces, rien n’est excitant et ne donne soif comme les annonces des sources thermales. À Montjouvain, chez Mlle Vinteuil, il n’y avait pas de bon glacier dans le voisinage, mais nous faisions dans le jardin notre tour de France en buvant chaque jour une autre eau minérale gazeuse, comme l’eau de Vichy qui, dès qu’on la verse, soulève des profondeurs du verre un nuage blanc qui vient s’assoupir et se dissiper si on ne boit pas assez vite. » Mais entendre parler de Montjouvain m’était trop pénible, je l’interrompais. « Je vous ennuie, adieu, mon chéri. » Quel changement depuis Balbec où je défie Elstir lui-même d’avoir pu deviner en Albertine ces richesses de poésie, d’une poésie moins étrange, moins personnelle que celle de Céleste Albaret par exemple. Jamais Albertine n’aurait trouvé ce que Céleste me disait ; mais l’amour, même quand il semble sur le point de finir, est partial. Je préférais la géographie pittoresque des sorbets, dont la grâce assez facile me semblait une raison d’aimer Albertine et une preuve que j’avais du pouvoir sur elle, qu’elle m’aimait.
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Des ailes, un autre appareil respiratoire, et qui nous permissent de traverser l'immensité, ne nous serviraient à rien, car si nous allions dans Mars et dans Vénus en gardant les mêmes sens, ils revêtiraient du même aspect que les choses de la Terre tout ce que nous pourrions voir. Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nouveaux paysages, mais d'avoir d'autres yeux, de voir l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d'eux voit, que chacun d'eux est ; et cela nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d'étoiles en étoiles.
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La mort de Swann ! Swann ne joue pas dans cette phrase le rôle d'un simple génitif. J'entends par là la mort particulière, la mort envoyée par le destin au service de Swann. Car nous disons la mort pour simplifier, mais il y en a presque autant que de personnes. Nous ne possédons pas de sens qui nous permette de voir, courant à toute vitesse, dans toutes les directions, les morts, les morts actives dirigées par le destin vers tel ou tel. (...) Et c'est cette diversité des morts, le mystère de leurs circuits, la couleur de leur fatale écharpe qui donnent quelque chose de si impressionnant aux lignes des journaux : "Nous apprenons avec un vif regret que M. Charles Swann a succombé hier à Paris, dans son hôtel, des suites d'une douloureuse maladie. (...)"
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J'allais à [Brichot]. Depuis quelques temps, son affection de la vue ayant empiré, il avait été doté - aussi richement qu'un laboratoire - de lunettes nouvelles : puissantes et compliquées comme des instruments astronomiques, elles semblaient vissées à ses yeux ; il braqua sur moi leurs feux excessifs et me reconnut. Elles étaient en merveilleux état. Mais derrière elles j'aperçus, minuscule, pâle, convulsif, expirant, un regard lointain placé sous ce puissant appareil, comme, dans les laboratoires trop richement subventionnés pour les besognes qu'ont y fait, on place une insignifiante bestiole agonisante sous les appareils les plus perfectionnés.
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Puis nous remontâmes dans la voiture. Et elle s'engagea pour le retour dans de petites allées sinueuses où les arbres d'hiver, habillés de lierre et de ronces, comme des ruines, semblaient conduire à la demeure d'un magicien.
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Celui qui veut entretenir en soi le désir de continuer à vivre et la croyance en quelque chose de plus délicieux que les choses habituelles, doit se promener ; car les rues, les avenues, sont pleines de Déesses. Mais les Déesses ne se laissent pas approcher. Çà et là, entre les arbres, à l'entrée de quelque café, une servante veillait comme une nymphe à l'orée d'un bois sacré, tandis qu'au fond trois jeunes filles étaient assises à côté de l'arc immense de leurs bicyclettes posées à côté d'elles, comme trois immortelles accoudées au nuage ou au coursier fabuleux sur lesquels elles accomplissaient leurs voyages mythologiques.
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