Citations sur À la croisée des mondes, tome 1 : Les royaumes du Nord (168)
Depuis plusieurs jours, une rumeur faisait chuchoter les domestiques du Collège. On racontait que les Tartares avaient envahi la Moscovie, et qu’ils déferlaient actuellement vers Saint-Pétersbourg au nord, d’où ils pourraient contrôler la mer Baltique et dominer finalement toute l’Europe de l’Ouest, Or, Lord Asriel se trouvait jusqu’à maintenant dans le Grand Nord : la dernière fois qu’elle l’avait vu, il préparait une expédition en Laponie.
Lyra se redressa et approcha son œil de l’entrebâillement de la porte. C’était le Majordome qui venait s’occuper de la lampe comme le lui avait ordonné le Maître. La Salle des Érudits et la Bibliothèque étaient éclairées par une lumière alcaline, mais pour le Salon, les Érudits préféraient les anciennes lampes à naphte. Tant que vivrait le Maître cela ne changerait jamais. Le Majordome tailla la mèche, ajouta une bûche dans le feu, puis, guettant les bruits venant de la porte du Réfectoire, il s’empara d’une poignée de feuilles dans le pot du nécessaire de fumeur.
Oui. Il faudrait aussi que je me change. Il existe certainement une ancienne règle de bienséance qui leur permet de m’infliger une amende de douze bouteilles pour être entré ici vêtu de manière incorrecte. Je devrais aussi dormir pendant trois jours. Mais malgré cela... On frappa à la porte, et le Majordome réapparut avec un plateau en argent sur lequel étaient posées une cafetière et une tasse.
M. Cawson était l’Intendant. Il existait entre lui et le Majordome une vieille et profonde rivalité. L’Intendant occupait un poste supérieur, mais le Majordome avait plus souvent l’occasion de s’insinuer dans les bonnes grâces des Érudits, et il ne s’en privait pas. Il se ferait une joie de montrer à l’Intendant qu’il en savait plus que lui sur ce qui se passait dans le Salon.
En ce moment, son expression était lointaine, préoccupée. Son daemon s’approcha de lui et appuya sa tête contre sa hanche ; Lord Asriel le regarda d’un air impénétrable, avant de se retourner pour marcher jusqu’à la table. Lyra sentit soudain son estomac se soulever, car il avait ôté le bouchon de la carafe de tokay et se servait un verre.
Le petit Tony Makarios n'était pas le seul enfant à avoir été capturé par la femme au singe doré. Il découvrit dans la cave de l'entrepôt une douzaine d'autres enfants, des garçons et des filles, dont aucun n'avait plus de douze ou treize ans, même si, comme lui, ils ignoraient quel était leur âge exact. Mais Tony ne remarqua pas, bien évidemment, l'autre point commun qu'ils partageaient tous. Aucun des enfants réunis dans cette cave chaude et moite n'avait atteint la puberté.
La gentille femme le fit asseoir sur un banc appuyé contre le mur, et demanda à une servante silencieuse de lui apporter une tasse de chocolat chaud, puisé dans une casserole posée sur le poêle. Tony mangea le restant de sa tourte et but le breuvage chaud et sucré sans prêter grande attention à son entourage, qui le considérait avec la même indifférence : il était trop petit pour représenter une menace, et trop flegmatique pour faire une victime satisfaisante.
Ce fut un autre garçon qui posa la question évidente :
-Hé, madame ! Pourquoi vous nous avez amené ici ?
C'était un petit voyou à la mine farouche, avec du chocolat autour de la bouche et un rat décharné en guise de daemon. La femme discutait avec un homme robuste qui ressemblait à un capitaine de navire, près de la porte, et quand elle se retourna pour répondre, elle eut l'air si angélique dans la lumière des lampes à naphtes sifflantes que tous les enfants firent silence.
- Nous avons besoin de votre aide, dit-elle. Vous voulez bien nous aider, n'est-ce pas ?
Personne n'osait dire un mot ; les enfants la regardaient fixement, intimidés tout d'un coup. Ils n'avaient jamais vu une femme comme celle-ci : elle était si gracieuse, si douce et gentille qu'ils n'en croyaient pas leur bonne étoile, et quoi qu'elle leur demande, ils se feraient un plaisir de le lui donner pour pouvoir rester un peu plus longtemps en sa présence.
Le ciel était inondé de volutes couleur pêche, abricot et beige : de tendres petits nuages semblables à de la crème glacée dans l'immensité du ciel orange.
Nous sommes tous soumis au destin, mais nous sommes obligés de faire comme si de rien n'était, répondit la sorcière, pour ne pas mourir de désespoir. Une curieuse prophétie pèse sur cette enfant : son destin est de mettre fin au destin. Elle doit y parvenir sans savoir ce qu'elle fait, comme si cela était inscrit dans sa nature, et non dans son destin justement.
De grands rideaux de lumière douce, qui semblaient descendre du ciel lui-même, tremblotaient dans l'atmosphère. Vert pâle et rouge rosé, aussi transparents que l'étoffe la plus fragile, d'un carmin profond et enflammé tout en bas, tels les feux de l'Enfer, ils se balançaient et scintillaient librement, avec davantage de grâce que le plus talentueux des danseurs.
"Un être humain sans daemon, c'était comme une personne sans visage, ou avec la cage thoracique ouverte et le cœur arraché : une chose contre nature, aussi étrange qu'effrayante, qui appartenait au monde des cauchemars, et non à la réalité des sens. "