Les racistes ils sont bégueules et despotiques avec les nibards des filles. Les seins blancs ça va pas dans les mains noires, mais les seins noirs ils y vont sans permis. Pourtant les mains d'Éric elles sont affreuses et délicates. On voudrait qu'elles soupèsent les nibards de personne. On voudrait qu'elles soient cousues dans ses poches et qu'on n'en parle plus.
"Et après!" a dit Monsieur Bob.
Après, le skin pleurait sur les manches de son blouson, il pleurait sous les yeux du nègre, la honte suprême, et c'est d'une voix de fille qu'il a bafouillé cette nouvelle accablante : "Je suis réformé."
C'était la fin du monde et Charlie s'en aperçu le soir même.
Mais le soir où Charlie se mit à rire à son tour des blagues d'Eric, il dut s'arrêter net : "Ça rit pas, un nègre. Pas devant moi. Quand ça rit, ça dit pardon."
Erik au lieu d'Eric. Le seul mot qu'il écrivait sans faute, le skin. Eric, ça fait pavillonnaire et tristounet, ça fait magasinier de Franprix, ça lui ressemble trop : Erik : ça fait Malibu-Vidéos, skinhead justicier du groupe Zyklon, ça fait presque inventeur autrichien du Glock 17, le flingue anti-métèque des policiers municipaux qu'il essayait d'avoir par son réseau secret. Eric, ça fait canne à pêche, Erik, ça fait Glock.
Une maison ? Il en avait une aussi. En banlieue, chez sa mère, on disait pavillon. C'est moins riche qu'une maison, ça sent pas si bon, mais il y a quand même la télé couleurs et dans les toilettes on entend tout.
Il se rappelle bien comment c'est arrivé, son histoire. Sa mémoire est trouée comme à la fourchette, mais elle a beau pisser le sang on arrive à lire entre les trous. Et puis ça ne regarde personne. Les trous, c'est sûrement des cachettes où sa vraie famille est planquée.
On aurait dit qu'il n'y avait que ça, sur la terre : des dossiers bloqués dans les tiroirs de l'Administration. Des gens riches se pliant à des formalités d'adoption vachement tordues, si tordues qu'elles n'aboutissaient presque jamais à bon port. Les gens riches restaient riches et malheureux dans leur caisse à pognon, et les orphelins tristes et foireux dans leur caisse à pauvreté.
Monsieur Bob, quand il était jeune, enfin quand il avait un métier, il pilotait les voitures de pompier. C' était là-bas qu'il avait connu Mado, dans les casernes à pompiers. Et le jour où le DC 10 américain s'est détérioré sur la forêt de Senlis, Monsieur Bob est arrivé le premier là où ça cramait, l'avion, les gens, les valises, les hôtesses de l'air, les marronniers, les oiseaux. Le lendemain ça divaguait sec. Il ne tournait pas plus rond qu'un DC 10 avarié. Il y allait au ralenti, sur les incendies, il se trompait de chemin. Alors, on l'a réformé, il n'a plus fait pimpon, plus jamais. C'était surement ça, le gigot derrière les oreilles de Monsieur Bob, et la raison qui faisait qu'il ne répondait pas aux questions privées. Ça devait résonner comme s'il fallait mettre son casque dare-dare et partir encore éteindre un avion. Et donc il ne supportait personne, à part sa casquette et la télé.