La littérature est possible parce qu'elle est périssable. Son agonie, plus lente que la nôtre, nous donne le sentiment de l'éternité. La littérature nous accorde un sursis. Ce qu'on écrit dépasse ce qu'on est.
Une gamine est étendue les bras en croix, percutée par la carriole d'un marchand ambulant. La cargaison a volé sur le boulevard. Maroquinerie, bas, chaussettes, bananes, melons, pastèques. Le colporteur fume sans broncher, tout à fait crétin ou drogué. Les gens passent leur chemin. Rien à signaler. En cas d'accident impliquant des pauvres, les frais médicaux sont à la charge de celui qui appelle les secours. p 171-172
Une poussière bleue couvre la nuit ajourée de néons. Les inscrptions sur les murs, les visages, tout ce qui tranche, tout ce qui heurte, est enveloppé de douceur. On respire un air familier. L'air des Alpes. On croit reconnaître la voix de quelqu'un dans une conversation attrapée au vol. La ville correspond à l'idée que je me fais de la vie antérieure. Une mélancolie humanise le délire urbain.
Brutalement, le vent met fin à ce simulacre d'hiver. Poussière, sables, papiers, sacs en plastique, tourbillons sur tourbillons. p 128
Quelque chose se produit. Une vie plus belle me traverse. Cette beauté fugace est acquise. Elle compte au nombre des promesses tenues. La vérité est que le monde s'offre à ceux qui n'en attendent rien. Il se livre avec simplicité, juste là, au bord du trottoir, sans le support de la lune ou des violons, sans le support de la littérature, au fond d'une ruelle, et c'est alors tout le banal qui fleurit sur un morceau d'asphalte. p 66 folio
Là-bas, en bout de l'avenue, la fenêtre de ma chambre est allumée. Je reconnais la tache rouge de mon écharpe sur la rampe de mon bureau. Les choses continuent d'exister quand nous ne sommes pas là. Il suffit de les disposer avec soin pour que les autres les trouvent belles et s'en servent en notre absence. Écrire. Que sont les livres sinon la chambre vacante d'un écrivain parti en voyage dans ses histoires. p 63-64 folio
Nuit profonde. Je ne pense à rien. Je vis. Je compte mes morts. Nous ne vieillissons pas à cause du temps qui passe. Nous vieillissons à cause des morts que nous portons et qui continuent de mourir en nous.
(...) Je ferai tout pour survivrs aux gens que j'aime.
p 25 Folio
Shanghai et moi nous partageons bien un ancêtre commun. Je ne l'ai pas croisé dans les rues. Tout se passe comme si mon écriture l'avait traqué jour après jour, triant ce que j'avais sous les yeux. Je comprends pourquoi il m'a été impossible de faire le récit objectif de ce séjour. Ce que je cherchais se trouve pour part dans cette ville et pour part à l'intérieur de moi.
La littérature nous accorde un sursis. Ce qu’on écrit dépasse ce qu’on est.
Pour comprendre les vieux pays, il faut lire les textes. La Chine est un fossile sans mémoire. Tous les textes écrits avant la dynastie Qin (221–206 av. J.-C.) ont été brûlés.
Les besoins fondamentaux de l'homme, l'autonomie, la connaissance, le plaisir sont réduits à la consommation et au travail.