Après l'enterrement de son père, Indira répond à la question d'un invité : où ce dernier aurait-il souhaité que l'on disperse ses cendres ? Sur Mars, enchaîne-t-elle stoïquement. de là, on se souvient de ce pub qu'il affectionnait tant, portant ce même nom sur les hauteurs de Superbagnères. Il n'en faut pas plus à la joyeuse équipée, constituée d'une vingtaine d'individus, pour louer un car et traverser la France dans ce seul et unique but.
Depuis la mort de son père après des mois de lutte contre le cancer, Indira se complait dans l'indolence. Elle se laisse porter par le courant, fuyant les questions de ses proches, et pourtant, on sent vite combien, en réalité, elle égrène chaque minute à la recherche de son père disparu tout en feignant la plus totale indifférence. Chaque fois que quelqu'un vient lui parler du défunt, elle se réfugie derrière des boutades caustiques pour cacher son envie d'en apprendre plus. Car avant d'être un père (et même après), Suraj a été un homme, avec des amours et des aspirations qui lui étaient propres.
J'ai apprécié ce côté-ci du roman, comment l'autrice distille ces menus détails qui font d'un homme un être unique et irremplaçable. Ses failles, ses imperfections, ses humeurs, ses espoirs, ses regrets. de l'ascension de l'Annapurna et de la conquêtes des nuits de New York aux plages de l'île Maurice,
Kalindi RAMPHUL nous offre des anecdotes pittoresques, esquissant la vulnérabilité de la condition humaine. Sa plume est tantôt incisive, tantôt poétique. Elle est capable de brosser de sublimes métaphores tout en exploitant des mots crus.
Entre Beverlance le sportif indécrottable, Ludovic le grimpeur, Driss et ses joints, Blanche atteinte de trisomie, Laurent le défiguré, Indira qui aboie sur tout le monde et rêve sans cesse de se masturber, sa mère biologique décrite comme une beauté fatale et sa maman de coeur irrévérencieuse à souhait, le panel de personnages est large. Peut-être même trop. Chacun n'est qu'effleuré, je ne me suis sentie proche d'aucun d'entre eux au fil de ma lecture. Je les ai même souvent trouvés caricaturaux.
De même, l'enchaînement des évènements servant de points de départ à la résurgence des souvenirs semble forcé. le récit manque de naturel, sans toutefois verser dans le road-trip léger et déluré, qui joue avec les pires coïncidences pour mieux nous amuser. Ici, le ton reste sérieux dans le fond. L'oeuvre semble coincée à cheval entre deux genres littéraires et perd de ce fait de son identité. Et c'est bien dommage, car les thèmes abordés sont des plus intéressants.
Kalindi RAMPHUL évoque entre ces pages le deuil, le racisme, le validisme, l'héritage culturel, ainsi que l'amour sous bien des formes, qu'il soit filial, romantique, fantasmé ou réprimé.
Je n'ai pas ressenti l'aspect road-trip promis. Oui, on traverse le pays en car aux côtés d'Indira et de sa clique, mais qu'en est-il des descriptions de paysage ? du sentiment de liberté, quand on s'inquiète davantage de devoir annuler un Air BnB que de profiter du moment présent ? Quand on accorde plus de soin à faire couler l'alcool, de jour comme de nuit, plutôt que de peindre des tranches de vie ? Il y a bien quelques rencontres fortuites faites en bord de route, mais là aussi, on mord difficilement à l'hameçon, qu'il s'agisse des frères rivaux et du fantôme qui les hante, de cette île près de laquelle Indira échoue, qu'elle a connue dans son enfance et retrouve ici soi-disant par hasard, ou de ce gars qui vole à la rescousse du groupe aux portes de l'arrivée, qui tient comme par hasard le seul commerce apte à sauver leur épopée. Tout y est trop exacerbé, tiré par les cheveux.
Si j'ai grandement apprécié la plume de l'autrice, je suis donc quelque peu passée à côté du récit qu'elle nous conte. Sans être désagréable, je pressens qu'il ne me restera pas longtemps en mémoire et je suis la première à le déplorer.
Lien :
https://dragonlyre.wordpress..