Au moment de dormir, enfant, si le vent était à l’ouest, et quand les locomotives s’engouffraient dans le tunnel, au loin, me parvenait, chaque soir, le ferraillement saccadé des wagons de marchandises qui reliaient les usines de construction automobile à la frontière.
Je n'ai jamais rien refusé à Stéphanie. Elle le savait. Je serais allé en enfer pour elle.
C’est déjà arrivé que quelqu’un disparaisse sans laisser de trace. Contrairement à ce que tu dis. Je me souviens d’une histoire comme ça. On a retrouvé le type par hasard, au fin fond d’un village de brousse, perdu au bout du monde, des années plus tard. Il n’avait rien fait de mal, il voulait simplement changer de vie, tout quitter, sa famille, son travail, ses amis. Ça arrive, tu sais.
Il paraît que c’est une manie chez lui de disparaître sans prévenir, où bon lui semble, pour réapparaître au moment où on s’y attend le moins.
Au moment de dormir, enfant, si le vent était à l'ouest, et quand les locomotives s'engouffraient dans le tunnel, au loin, me parvenait, chaque soir, le ferraillement saccadé des wagons de marchandises, qui reliaient les usines de construction automobile à la frontière.
C'était des convois sans fin. Je me souviens qu'après l'école, descendant du car de ramassage scolaire, je m'asseyais, avec Stéphanie et Betty, sur le parapet du pont, au-dessus du ruisseau. Et tous les trois, nous assistions au passage des trains aperçus à l'horizon, derrière la ligne des peupliers.
Notre jeu préféré, c'était compter les wagons, yeux fermés, mains sur le visage, dans un temps imparti, en nous repérant au rythme des roues sur les rails.
"Dans la maison, j'occupais le rez-de-chaussée et une pièce à l'étage. La chambre de mon père était restée en l'état depuis sa mort. De la fenêtre, on apercevait le champ de maïs qui s'étendait jusqu'aux peupliers, là où la rivière faisait un coude. Je conservais encore, dans l'armoire, quelques-uns de ses vêtements, dont son costume bleu pétrole, côté droit de la penderie. L'autre partie était occupée par ceux de ma mère, qu'elle ne portait plus, mais que je protégeais en renouvelant tous les deux mois les doses d'antimites.
À côté de l'armoire, sur la commode, les affaires de mon grand-père, conservées par mon père, un briquet, des médailles, une arme de poing dérobée sur le cadavre d'un officier allemand pendant l'Occupation, un casque de la Wehrmacht, des balles de pistolet."
Je me sentais progressivement entrer dans la peau de John Lloyd, m'imprégner de sa personne. C'était l'amant de Stéphanie qui signait, et c'était ma main. J'y ressentais un vif plaisir, durant une ou deux secondes, le temps de quelques traits sur une feuille blanche.
C’est quand même un comble, un homme comme mon frère, qui a toujours su se faire remarquer, disparaître sans rien dire, sans laisser la moindre trace !
C’est au moment de retirer une forte somme qu’on éveille l’attention.
J’étais amoureux certes, mais pas au point de me laisser abuser.