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Critique de PedroPanRabbit


le synopsis et le titre évoquent évidemment furieusement "Nous avons toujours vécu au château", de l'inégalable et glaçante Shirley Jackson, peut-être la dernière véritable représentante du gothique au siècle dernier. Chez Emmanuel Régniez, un frère et une soeur vivent reclus dans un manoir à l'écart du monde depuis la mort mystérieuse de leurs parents, lui ne s'autorisant qu'une sortie hebdomadaire en ville pour les achats de première nécessité (nourriture et livres), elle restant cloitrée dans la demeure. Tous deux peuplent leur quotidien de contes de fées et de fables étranges, jusqu'au jour où leur monde du dedans et le monde du dehors se heurtent brutalement, début d'une chute vertigineuse qui fera côtoyer au lecteur folie et frissons...

Des personnages agoraphobes, une ambiance de conte macabre, un quotidien rythmé par la pensée magique, la vraie-fausse candeur des protagonistes, coincés quelque part entre une enfance idéalisée et un âge adulte redouté, synonyme de l'image parentale qu'on souhaite, à l'évidence, reléguer aux oubliettes... La liste des similitudes entre le château d'Emmanuel Régniez et celui de Shirley Jackson est longue ; l'auteur français ne s'en cache pas : la romancière américaine est une de ses sources d'inspiration. Mais peut-être son ombre plane-t-elle trop sur "Notre château", dont on se demande s'il parvient à exister par et pour lui-même. Pas sûr...

Comme souvent avec les oeuvres qui se réclament un peu trop d'un certain mimétisme ou d'une lignée littéraire, tous les éléments qui ne seront pas outrageusement calqués sur l'original paraitront exagérément différents et laisseront un goût amer. Ils donnent l'impression que l'auteur se démarque soudain radicalement de son modèle pour prouver qu'il a son univers bien à lui, mais l'ensemble parait alors factice et manque de naturel, de fluidité. Chez Jackson, la folie des personnages s'insinue lentement, par petite gouttes de sueurs froides qui glissent le long du dos, sur la toile de fond d'une réalité à peine dissonante et dont les fausses notes apparaissent progressivement avant de nous happer totalement. Ici, l'écriture écholalique à l'excès choisie par l'auteur pour appuyer la bizarrerie du narrateur sonne faux d'emblée.

Ceci dit, petit à petit, on pourrait admettre que l'histoire racontée par Emmanuel Régniez prend son autonomie. Elle emprunte même des chemins prometteurs mais tous sont tués dans l'oeuf car l'auteur ne les exploite jamais entièrement. En fait, on reconnait dans ces éléments successifs l'influence d'autres grandes plumes du gothique qu'il évoque également en fin d'ouvrage : Edgar Poe, Henry James, Théophile Gautier, Lovecraft... Dès lors, on ne cerne que trop bien où le romancier est allé chercher l'idée d'un couple frère/soeurs aux relations incestuelles vivant dans une maison hantée, celle d'une demeure douée de vie propre, ou encore la sexualité latente et malsaine qui se mêle au monde faussement innocent d'une enfance de façade. Mais comme un soufflé qu'on sort trop vite du four et qui s'effondre, aucune des voies suggérées par ses illustres prédécesseurs, entre les mains d'Emmanuel Régniez, ne dépasse le stade du clin d'oeil. Son livre reste, au final, un enchainement d'easter eggs parsemés au fil d'un texte cruellement linéaire alors qu'ils auraient pu servir à approfondir encore et encore tout ce qui reste à l'état de suggestion. Face à tant de potentiel inabouti, on comprend difficilement les critiques élogieuses des libraires et chroniqueurs ; "Notre château" était certes prometteur mais reste facile et approximatif.

En bref : Un roman court plein de potentiel mais elliptique et ampoulé à l'excès, qui ne parvient pas à aller au-delà des clins d'oeil aux oeuvres gothiques dont il se réclame. C'est bien dommage car il y avait vraiment un univers à exploiter : celui de l'auteur, qui reste encore trop caché derrière ceux de ses sources d'inspiration.
Lien : http://books-tea-pie.blogspo..
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