Le crépuscule gagnait de proche en proche dans un silenc
que rien ne troublait. La lumière étrange faisait tout
paraitre irréel.
"Regarde l'arbre là-bas, dit Elisabeth. Il est en fleur"
Grater se retourna. L'arbre avait été à demi déraciné
par une bombe. Une partie des racines se dressait
vers le ciel, le tronc était fendu et plusieurs branches
arrachées. C'était vrai pourtant qu'il était couvert de fleurs
blanches discrètement teintées de rose.
"La maison d'à côté a brulé. Peut-être que la chaleur
a accéléré sa floraison, dit-il. Il est en avance de plusieurs
semaines sur les autres arbres. Et pourtant c'est lui qui
a la plus souffert."
Elisabeth se leva et fit quelques pas. Leur banc était
à l'ombre, et la jeune fille s'avança dans le reflet mouvant
des incendies comme une danseuse sur l'avant scène.
Le rougeoiement l'entourait d'une auréole sauvage.
C'était comme la lueur d'une comète apocalyptique
annonciatrice de la fin du monde ou de la venue
d'un rédempteur de la dernière heure.
"Il fleurit, dit-elle. Pour lui, c'est le printemps, rien de
plus. Le reste ne lui importe pas.
Page 258 (livre de poche)
Nous ne sommes pas de ceux avec qui on traite. Nous avons semé la terreur et la haine, comme Attila ou Gengis Khan. Nous avons violé tous nos engagements et piétiné la loi humaine…
– Pas nous, les SS »
Race de maîtres ! Pour nous faire mieux obéir aux imbéciles et aux charlatans ! Elle est jolie maintenant la race des maîtres ! Seulement bien entendu ce sont les innocents qui sont frappés les premiers !
Nous sommes des hommes comme les autres. Seulement nous faisons la guerre, voilà tout.
Après tout, c’est pas nous qui avons décidé la guerre. Nous n’y sommes pour rien. Nous faisons notre devoir, et les ordres sont les ordres.
C’est étrange comme on se met à comprendre les autres quand on est dans la crotte jusqu’au cou.
C’était une terre inhumaine, figée par le froid et la solitude, sans rien où le regard pût s’attarder, le cœur se réchauffer. Tout semblait infini et inachevé comme le pays lui-même, sans âme ni frontières
Les mots ne servent à rien. Depuis des années un flot de paroles s’était déversé sur l’Allemagne. Qu’en restait-il ? À parler encore maintenant, on avait tout à perdre et rien à gagner. Quant à l’avenir qui approchait lentement et en silence, c’était une ombre vague et menaçante qui n’était plus à la mesure des mots. On parlait du service, de la soupe et du froid. On ne parlait pas de cela. Ni de l’avenir, ni des morts.
Réfléchir était maintenant facile et à la portée de tous. Tout était bien dans le meilleur des mondes quand les victoires succédaient aux victoires. Il y avait certes quelques ombres au tableau, mais on les ignorait, ou on excusait par la grandeur des fins la médiocrité de certains moyens. Mais au fait, de quelles fins s’agissait-il ? N’avaient-elles pas toujours eu deux faces dont l’une était sanglante et inhumaine ? Pourquoi n’y avait-il jamais songé ? Ou n’avait-il pas plus d’une fois senti le doute et le dégoût l’envahir ? Toujours il avait chassé ces visiteurs importuns.
La mort n’avait pas la même odeur en Russie qu’en Afrique. En Afrique, il arrivait aussi, sous le feu intense de l’artillerie anglaise, que les cadavres demeurassent longtemps exposés entre les lignes ; mais le soleil travaillait vite.