S'adapter ou mourir

Adrien et elle prirent place au côté de leur hôte. La flamme du briquet de Baptiste traversa l’obscurité puis lécha un morceau de résine de cannabis qu’il venait de sortir de sa poche. Il roula un joint, l’alluma et tira quelques bouffées, avant de le proposer à ses convives. Tous gardèrent le silence de longues minutes, avant de faire demi-tour en direction de la maison.

Il proposa au couple de visiter une parcelle de son terrain tant qu’il restait un peu de lumière. Dans la pinède, la visibilité était moindre et Ambre trébucha sur des pierres et sur des racines. Baptiste s’assit sur un énorme rocher, face à un container installé sous les arbres, non loin de la cour, dont Ambre se demanda l’utilité.

Les deux mecs discutèrent, sympathisèrent, en la laissant presque sur le carreau alors que c’était elle qui faisait le lien entre eux. Baptiste était plus sombre, différent de l’interlocuteur qu’elle connaissait sur Internet. Elle attribua d’abord sa distance à de la timidité, puis réalisa qu’il dégageait paradoxalement de l’assurance. Elle envisagea un possible sentiment de jalousie, avant de l’écarter également : Baptiste ne manifestait aucune animosité envers Adrien. Ce dernier, très sociable, parut d’emblée apprécier leur hôte. Quatre ans les séparaient et Baptiste prit vite l’ascendant.

Une autre chose qui la surprit fut que Baptiste paraissait plus à l’aise en la compagnie d’Adrien qu’en la sienne.

Elle le lui avait certifié, à nouveau, et avait suivi chacune de ses instructions la veille de son départ. Bien qu’elle éprouvât de l’attirance pour l’interdit comme nombre d’adolescents, Ambre n’était pas bête : si elle ne s’était pas sentie en confiance vis-à-vis de celui qu’elle considérait comme un ami et, surtout, si elle n’avait pas été accompagnée d’Adrien, jamais elle n’aurait consenti à dormir chez un homme qu’elle rencontrait pour la première fois.

— Je serai ravi de vous aider, lui avait-il dit. Personne n’a à vous empêcher de vivre votre amour. Les vieux débloquent parfois complètement. Vous serez les bienvenus, je dirai rien à qui que ce soit ; en revanche, tu dois faire la même chose de ton côté car je prends un risque… Je peux aller en prison pour ça, tu sais ? Ta mère va appeler la police, ils vont fouiller ton ordinateur fixe. Avant de partir de chez toi, tu devras supprimer nos discussions sur ton PC. Il y a des fichiers cachés que beaucoup de gens ne connaissent pas mais que moi je connais, et la police encore mieux. Je t’indiquerai comment les effacer. Et tu ne dois parler de moi à aucun de tes amis, pas même à Chloé. Je t’ai déjà posé la question : tu ne l’as pas fait ? Tu me le jures ?

Lorsque la situation était devenue invivable chez elle et que sa mère et son nouveau beau-père, Nino, lui avaient interdit de fréquenter Adrien, elle avait révélé à Baptiste son projet de prendre la route et ce dernier lui avait proposé de les accueillir pour une nuit.

Jamais il n’avait fait d’allusion déplacée ni ne l’avait draguée, il était simplement son confident ; et avoir l’oreille attentive de cet homme plus mûr, elle, jeune fille mineure que beaucoup traitaient comme une gamine, la flattait indéniablement.

Il lui était arrivé de refaire le monde avec Baptiste pendant trois ou quatre heures, le soir ou la nuit, et ce, plusieurs fois par semaine. Lorsqu’elle épanchait ses tourments auprès de sa mère ou de ses amis, beaucoup, en lui donnant des conseils, tentaient d’imposer leur avis ; pas Baptiste. Lui l’écoutait sans la juger, sans lui dire quoi faire, et cela l’apaisait.

La maison de Baptiste Rivoire devait leur servir d’étape pour une nuit, avant qu’ils ne s’enfoncent encore plus au sud. Le jeune homme le lui avait proposé, enthousiaste, et avait été le seul à l’inciter à s’enfuir de chez elle avec son nouvel amoureux. Même sa meilleure amie, Chloé, avait tenté de la décourager.