Papa est muet. Papa est bouleversé. Papa se remettrait bien à pleurer, mais du point de vue lacrymal, aujourd'hui, il a déjà tout donné.
- Je te confie ta mère, mon petit, je vais partir pour un long voyage.
Il n'avait pas bien compris à l'époque - il n'avait que dix ans - ce que ce "long voyage" signifiait. Il s'était demandé après pourquoi son père n'avait pas utilisé les bons mots, précis, comme "mort" ou même "disparition". Pour ne pas lui faire peur? Ou pour conjurer sa propre angoisse, car il se savait condamné?.
La vie lui fait décidément de drôles de surprises. Elle joue avec ses nerfs et ses émotions. Quand tout semble installé, elle donne un bon coup de pied dans l’ordre apparent. Quand tout semble chaotique, elle fait apparaître de sacrés revenants qui remettent les choses en place.
Têtes en l’air ou têtes baissées, ils vont désormais, à l’affût de la beauté visible du monde. Les clichés n’existent plus. Il n’y a plus que des choses à admirer.
-Oui, je sais ce que tu te dis: qu’avec toi, elle est protégée. Qu’il ne peut rien lui arriver de mal. Que ce sont les autres qui compliquent tout, qui salissent tout, qui causent tous les problèmes. Mais ce sont aussi des autres que viennent les grandes joies, les beaux sentiments, les liens qui durent.
Tu ne le sais pas, mais les gens sont dangereux. Le monde est cruel. Il te met la main dessus un beau jour et te prive de ta liberté. Il faut se méfier.
Il y a des choses enfouies de l’enfance qui ne passent pas. Qui restent tapies, là, au fond du cœur et de l’âme et qui attendent un événement pour se manifester sans qu’on sache ni pourquoi, ni comment, encore moins pourquoi à ce moment-là.
Joseph a de plus en plus de mal avec ce monde qui ne prend plus le temps. Il ne comprend plus ces gens qui courent dans tous les sens pour gagner quelques minutes dont ils ne savent d’ailleurs pas quoi faire. Il ne voit pas la finalité de cette agitation vertigineuse, sinon qu’elle rend les gens fous et malheureux.
Chez Joseph, toutes les choses ont une place, leur place dont elles ne bougent pas. Comme à la gare, finalement. C’est pour mieux les retrouver. Il n’y a rien de pire que perdre. Perdre à jamais.