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Citations sur La faiblesse du vrai (4)

L'ouvrage de Ralph Keyes (The Post-Truth Era, 2004) évoquait déjà l'apparition d'une région et d'un régime de fonctionnement imprécis, douteux, qu'il décrivait en substance de la manière suivante: autrefois, nous avions la vérité et le mensonge; maintenant nous avons la vérité, le mensonge et des énoncés qui peuvent n'être pas vrais mais dont nous estimons qu'ils sont trop insignifiants pour être qualifiés de faux. C'est ainsi qu'abondent un certain nombre d'euphémismes: nous "manions la vérité avec parcimonie", nous l'"édulcorons" ou bien nous l'"aménageons". La tromperie fait place à la pirouette. Au pire, nous admettons l'erreur ou l'exercice d'un "mauvais" jugement. Mais nous ne voulons plus accuser les autres de mensonges. Nous disons qu'ils sont dans le "déni". Le menteur a une éthique douteuse, c'est quelqu'un pour qui la vérité est momentanément "indisponible".
Voilà ce qu'est l'âge de la "post-vérité": le brouillage des frontières entre vrai et faux, honnêteté et malhonnêteté, fiction et non-fiction. D'où procède un édifice social fragile reposant sur la défiance. Lorsqu'un certain nombre d'individus en viennent à colporter des fictions comme s'il s'agissait de faits réels, la société est atteinte dans ses fondements. Et elle s'effondrerait complètement si nous présupposions à chaque instant qu'autrui est tout aussi susceptible de dire le faux que le vrai.
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Si les sociétés démocratiques aujourd'hui (ou ce qu'il en reste) ne sont pas tant menacées par le caractère totalisant de la contrainte idéologique que par le risque d'une indifférenciation généralisée des croyances, des pratiques et des expériences, reste que le "monde" fictif qui se dessine avec l'émergence de la post-vérité travaille à la ruine de la faculté de juger, cette faculté qui nous permet à la fois de différencier et d'organiser le réel et de configurer le "commun" en partageant nos expériences sensibles.
La fiction, dans son caractère heuristique et productif, n'est pas la réalité alternative qui vient recouvrir le monde de son manteau de ténèbres instaurant, comme le disait Hegel, une nuit "où toutes les vaches sont grises". La post-vérité n'est que la figure émergente d'une pseudo-fiction impuissante, hors vérité. Loin de cette perte en monde qu'implique l’indifférence au vrai, l'imagination ne souffre pas la faiblesse du vrai et s’accommode encore moins de son abandon. Car la force du vrai, ce n'est pas seulement, comme le pensait Michel Foucault, la force des liens par lesquels les hommes s'enchaînent eux-même au pouvoir de la vérité, c'est d'abord le surplus de sens de l'expérience vive, la faculté de déranger le réel pour le rejoindre autrement. En d'autres termes, la condition que le monde soit habitable et qu'il ne se transforme pas en un désert auquel nous serions condamnés à nous adapter. Dans fragment posthume de 1888, Nietzsche écrivait: "Ce qu'il est possible de penser est sans aucun doute une fiction".
Certes, mais pas n'importe laquelle.
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La critique marxiste a souvent dénoncé les utopies comme des pathologies de la fuite en avant: loin de chercher à transformer par la praxis la réalité sociale existante, elles chercheraient à lui échapper, telles des "robinsonnades", en constituant des schémas ou des modèles irréels. Mais si l'on s'attache à leur créativité, à la pratique imaginative qui les soutient, l'essentiel n'est pas que les utopies soient ou non réalisables ni surtout de vouloir qu'elles soient réalisées. Ce ne sont pas des propositions alternatives qui voudraient se substituer à la réalité existante, au monde tel qu'il est. La fonction de l'imagination utopique consiste à ouvrir le champ des possibles non pas en opérant un saut vers l'ailleurs mais, à l'inverse, en procédant de cet excentrement pour éclairer la société existante. Le "nulle part" qui "dérange" le réel neutralise la réalité sociale pour la mettre momentanément à distance. La fonction "excentrique" de cet imaginaire social ne répond pas à l'idée d'une vérité adaequatio rei et intellectus, mais d'une vérité à faire: non pas, encore une fois, parce qu'elle doit être réalisée sous les traits projetés mais parce que la distance à l'égard de la référence de premier degré (la société telle qu'elle est) rend possible sa mise en cause et fait émerger une conscience critique.
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Et comme rien de ce qui paraît ne se manifeste à un spectateur unique, susceptible de rassembler ou de totaliser tous les aspects du réel, la nature phénoménale de la politique interdit toute position de maîtrise et de surplomb. A cet égard, Machiavel pourrait bien être le grand éducateur: celui pour qui la "vérité effective" de la politique réside dans un entrecroisement, un entrelacs ou mieux encore une entre-appartenance qui déconstruit de facto la vision binaire de maître tout-puissant face à l'impuissance radicale des sujets. Le Prince n'est pas maître de la représentation qu'il veut offrir aux autres et que ceux-ci lui renvoient dans un jeu de miroirs nécessairement instable. Ses qualités - vraies ou supposées - sont vouée à une ambiguïté consubstantielle: offerte à la vue des hommes dans un espace d'apparition, elles sont celles que l'opinion reconnaît. C'est dire combien le pouvoir est labile et sa maîtrise instable: il requiert l'assentiment, la reconnaissance, le jugement porté sur l'image qu'il choisit de présenter. Un tel régime de vérité est irréductible aux termes de la condamnation morale. C'est face à des sujets que le Prince se constitue comme tel, c'est face au Prince que les sujets se donnent pour ce qu'ils sont. De cette relation procède, entre autres, la transformation - la transfiguration - des expériences propres à la vie publique: expériences où précisément nous sommes avec autrui (pour ou contre, peu importe) et où nous nous révélons les uns aux autres. Telle est la "vérité" du politique. A travers sa dimension phénoménale, elle reconduit à l'exercice du jugement et de l'opinion ainsi qu'aux conditions du monde commun.
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